« Sur tes traces » la belle déclaration d’amour de Dany Boudreault et Gurshad Shaheman

Des biographies croisées

Sarajevo. Deux artistes se rencontrent pour la première fois, Gurshad Shaheman et Dany Boudreault. Ils se baladent dans cette ville jonchée de pierres tombales, signes d’une guerre encore toute proche. Ils discutent, échangent sur leurs vies respectives. Émerge alors l’idée suivante : chacun va enquêter sur le passé de l’autre, remonter le cours de son existence en interrogeant ses proches.

Le moment est venu : Gurshad part au Québec, Dany en Iran. Ils découvriront les difficultés d’être homosexuel dans l’Iran de Khomeini comme dans la campagne québécoise, la violence à laquelle on se heurte dès lors que l’on s’écarte du chemin straight. Mais aussi les stigmates du passé colonial du Canada, la misogynie du pouvoir des mollahs ou, avec infiniment plus de douceur, l’amitié et le rapport à sa propre langue.

Des récits en miroir

Les interviews furent nombreuses et les récits qui en sont issus tout aussi abondants. Aussi les deux artistes ont-ils choisi de donner au public libre accès aux deux histoires : coiffė.es d’un casque, spectateurs et spectatrices peuvent, par la pression d’un simple bouton, passer d’une biographie à l’autre.

Ce dispositif pourrait paraître un peu gadget. Il n’en est rien, la mise en scène jouant des contaminations réciproques des deux récits, comme lorsque l’un paraît vêtu d’un treillis pendant que l’autre évoque les gardiens de la révolution iranienne. Que les deux acteurs-metteurs en scène se rapprochent, et le casque nous permet de deviner quelques mots du récit que nous avions momentanément délaissé. En outre, cette construction en miroir laisse à chacun l’occasion d’imprimer sa patte, avec une écriture volontiers lyrique chez Boudreault, ou dotée d’un léger comique chez Shaheman.

Un hymne à l’imaginaire

Bien sûr, un tel procédé apporte sa part de frustration, puisque le spectateur et la spectatrice n’ont accès que par bribes à chacun des récits. Toutefois, cette frustration est à l’image de la conclusion du spectacle : quel que soit le nombre de personnes interrogées, la connaissance de l’autre sera toujours lacunaire. Et c’est de cette faille que naît, pour la combler, l’imagination. Déclaration d’amour et d’amitié, Sur tes traces est donc aussi un très bel hymne à l’imaginaire.