Le Théâtre des Champs-Élysées a offert un spectacle (en version concert) de qualité exceptionnelle, avec un plateau de voix de haut niveau et une direction musicale équilibrée.
Par Emanuele Zazzero
Premier opéra donné par Haendel dans la capitale britannique, Rinaldo fait actuellement partie des chefs-d’œuvre baroques inscrits au répertoire des maisons lyriques du monde entier. Il doit sa popularité à la fois aux grands interprètes de l’âge d’or de l’Opéra (dont Marilyn Horne) et au film Farinelli de Gérard Corbiau, dont la bande sonore est caractérisée par les airs « Lascia ch’io pianga », « Cara sposa » et « Venti Turbini », des airs qui sont devenus célèbres.
Le sujet, qui a pour source La Jérusalem délivrée du Tasse, avait été choisi par Aaron Hill, le directeur du Queen’s Theatre (la traduction en italien était de Giacomo Rossi). L’histoire se déroule à l’époque des croisades ; Goffredo, chef de l’armée chrétienne, a promis la main de sa fille Almirena au chevalier Rinaldo, s’il conquiert Jérusalem, ville occupée par le roi Argante et son épouse magicienne Armida. La structure de l’œuvre est celle d’un opera seria italien à laquelle se rajoute une ouverture « à la française » (lent-vif-lent), une caractéristique qui sera typique du style du compositeur allemand. Pour la création (24 février 1711) au Queen’s Theatre, Haendel avait pour protagoniste l’un des meilleurs chanteurs castrats de son époque, le contralto Nicolà Grimaldi (surnommé « Nicolino »).
Carlo Vistoli est l’un des grands virtuoses baroques du moment et il a, en ce 2 février 2024, magistralement fait ses débuts dans le rôle-titre. Chanteur doté d’une présence scénique remarquable, il possède un instrument vocal puissant, de couleur ambrée dans le registre moyen-grave et brillant dans les aigus. Pour Rinaldo, il a su déployer une grande habileté virtuose aussi bien dans l’air « Venti turbini prestate » que dans « Or la Tromba » (improvisant des variations avec la trompette soliste) et s’est fait remarquer par son phrasé bien articulé et son sens du drame dans le touchant air « Cara Sposa ».
Lucile Richardot est une chanteuse polyvalente (elle a aussi régulièrement à son répertoire des auteurs du XXe siècle comme Ligeti) et elle a donné à son Goffredo la dimension d’un chef fier et imposant, l’interprétant avec un phrasé bien articulé et une diction italienne parfaite (chaque récitatif était bien ciselé). L’artiste a tout aussi bien su distinguer le côté héroïque (« Sovra balze scoscese e pungenti ») que celui plus intime du personnage.
Chiara Skerath est une soprano à la voix argentée, pénétrante et au vibrato naturel ; son Almirena se caractérise par une technique solide (« Augelletti, che cantate ») et une douce mélancolie qui, pour autant, ne sonne jamais « mielleuse » (« Lascia ch’io pianga »).
Emőke Baráth est une Armida magnétique et intense avec une émission souple, bien projetée et un timbre clair ; la soprano hongroise s’est distinguée par sa présence scénique, par son chant élégiaque (« Dunque i lacci d’un volto – Ah crudel, il pianto moi ») et par sa colorature brillante (« Vo’ far guerra »).
Victor Sicard est un baryton doté d’une large palette de couleurs, d’une voix claire (presque ténor) et d’une très bonne homogénéité des différents registres, qui, ce soir, a excellé par sa solide virtuosité et par son interprétation fougueuse (« Sibilar gl’angui d’Aletto »).
Enfin, Anthea Pichanick possède une voix riche en nuances, au timbre chaud et envoûtant ; le contralto français a magistralement alterné les rôles d’Eustazio (« Siam prossimi al porto ») et du Magicien.
Thibault Noally a dirigé son orchestre Les accents de son poste de premier violon, nous offrant une lecture claire, lucide, avec une attention philologique, mais sans tomber dans la tentation de déborder dans la bizarrerie baroque. Le maestro français a très bien accompagné les chanteurs, avec une considération particulière donnée aux récitatifs et une virtuosité remarquable dans ses solos de violon. L’orchestre (sur instruments historiques) s’est distingué par la couleur compacte et les solos des différents instruments comme le basson, les flûtes à bec et le clavecin. Néanmoins l’excellent ensemble n’a pas été exempt de quelques passages mal accordés aux hautbois et aux trompettes.
En sortant de la salle, le public était encore traversé par la beauté des mélodies haendéliennes et enthousiasmé par la maîtrise de tous les artistes.
Visuel : Carlo Vistoli © Nicola Allegri