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La féérie de « Didon et Énée » à l’Opéra Royal de Versailles

par Paul Fourier
22.10.2024

Durant un peu plus d’une heure, l’on a pu assister à un beau retour de l’opéra de Purcell dans une mise en scène marqué du sceau du cirque et du théâtre de tréteaux.

L’histoire de l’opéra de Purcell reste encore mystérieuse. Longtemps, on a cru qu’il aurait été créé, en 1689, pour un pensionnat de jeunes filles à Chelsea, dans le cadre de la célébration des souverains Guillaume III et Marie II Stuart.

Récemment est apparue l’hypothèse qu’il aurait vu le jour, quelques années auparavant (entre 1682 et 1684 ?) dans un cadre plus royal. Sa forme musicale ainsi que le déploiement d’effets scéniques relevant du merveilleux plaident en faveur d’une entreprise ambitieuse destinée à un public de choix.

Après des années de disette artistique, voire d’obscurantisme, après la décapitation de Charles Ier et durant la période puritaine de Cromwell, la Restauration redevient un moment favorable aux arts. Le Roi Charles II (l’oncle de la future Marie II) qui, exilé en France a séjourné à la cour de son cousin, Louis XIV, a pu apprécier Lully et les Violons du Roi. Ces influences françaises ne vont pas être sans effets sur le talent des musiciens anglais (dont Henry Purcell), de même que les œuvres italiennes (Monteverdi, Caccini, Carissimi) et, bien sûr, les feux anglais de l’époque d’Élisabeth Ière et de Jacques Ier (avec le madrigal, Byrd ou Dowland), provisoirement mis en sommeil qui retrouvent alors de la vigueur.

C’est dans ce contexte que naît Dido and Æneas de Purcell, l’un des premiers opéras entièrement chantés.

Une féérie qui remonte le temps

L’Opéra de Versailles a fait le choix de reprendre un spectacle créé en 2014 à l’Opéra de Rouen Normandie. Et, bien lui en a pris tant ce qu’ont conçu les deux metteur.se en scène Cécile Roussat et Julien Lubek, nous emmène dans un monde enchanté empli d’acrobates, de créatures fantastiques, de carton-pâte et de tissu extensible pour figurer la mer. Outre le fait que voir ce spectacle dans l’écrin de l’Opéra Royal est un véritable bonheur visuel, on se plaît à imaginer que cette production aurait pu, à peu de choses près, être donnée à la cour de Marie II.

Enfin, cette imagerie où apparaissent une sorcière-pieuvre et des sirènes descendant des cintres ainsi que la brièveté de l’opéra permettent au spectacle de s’adresser aussi au jeune public.

 

Côté orchestre, c’est une saine folie qui règne, d’autant que le chef-violoniste Stefan Plewniak a opté pour l’ajout de moments orchestraux ne faisant pas de la partition de Didon et Énée. L’on suppose qu’il s’agit là d’étendre le temps pour laisser l’imaginaire se développer et les circassiens occuper l’espace avec leur agilité afin de créer cette atmosphère de magie. Cela n’est en rien dommageable car les instrumentistes (et les choristes) donnent toute sa plénitude à la géniale musique de Purcell.

Une distribution sous le sceau de la diversité

Outre ses mémorables incarnations dans l’opéra romantique, l’on connaît aussi l’adéquation de la voix de Sonya Yoncheva avec le baroque. Elle est, d’ailleurs, à ce titre régulièrement invitée par l’Opéra Royal.

Précisément, la fréquentation des Tosca et autres Norma et Butterfly a progressivement rendu sa voix plus lourde et moins agile, et si celle-ci convient encore parfaitement dans les épanchements lents haendélien, cela devient plus discutable avec le baroque précoce de Purcell. Pour autant, elle incarne scéniquement une Reine Didon à la présence marquante et, si elle ne joue pas dans la même cour qu’une Janet Baker ou une Jessye Norman, ses deux lamentations n’en sont pas moins de très belles parenthèses dramatiques.

L’on reste réservé sur l’Enée de Halidou Nombre dont le vibrato envahissant du début de la représentation tend, tout de même, à s’estomper au fil du temps, ainsi que sur la Belinda de Sarah Charles qui, pour le coup, offre un pendant par trop acidulé à la voix de Yoncheva. Les véritables enthousiasmes auront donc été pour le joli esprit du contre-ténor (et bien nommé) Arnaud Gluck, et surtout, de l’extraordinaire sorcière-pieuvre du ténor Attila Varga-Tóth qui allie l’adéquation vocale au rôle à la performance et à la crédibilité de cette créature fantastique.

 

Quoi qu’il en soit, cette heure et ces vingt minutes de spectacle dans un imaginaire parfois plus proche du Songe d’une nuit d’été que de l’aventure amoureuse du Prince Énée chez la Reine Carthage, ont eu le goût d’un savoureux voyage enchanté.

Visuels : © Franck Putigny