Le nom de cette chorégraphe est associé à un gros tube : Simple. Elle y imposait une écriture où les situations ubuesques et burlesques pouvaient se transformer en mouvements très écrits. Zonder, présenté lors du festival Antigel à Genève, est pensé comme la suite de Simple. Là encore, on glousse à la première seconde avant d’être séché·e·s par le talent sans limites de ce trio qui démonte tout sur son passage.
Naomi Gibson fait une entrée tout en grande seconde et en épaules frétillantes. Elle a un regard idiot, vide, la mâchoire relâchée. L’image est immédiatement clownesque. Elle porte un haut rouge et un short vert. Bientôt, elle sera rejointe par Piet Defrancq et Daan Jaartsveld, qui étaient déjà interprètes dans Simple. Eux sont en rose : sweat sans manches pour l’un, tee-shirt col cheminée pour l’autre. Eux aussi ont sur leur visage cette espèce de masque de la bêtise. Leur danse est faite d’actions qui les surprennent. Les angles droits sont pas mal à la fête, dans ces bras qui descendent comme pour dire « au secours ». La chorégraphe nous installe dans le moment où l’on cherche un pas, dans celui où l’on apprend. Mais qui suivre ? Si un malaise se fait sentir, il est toujours temps de s’échapper des griffes d’un danseur trop collant en prenant de la distance, en sautant rapidement sur ses deux pieds, en un rebond aux allures de ressorts.
Vous avez sûrement remarqué, chers lecteurs et chères lectrices, que nous ne vous avons encore rien dit ni de la lumière, ni du décor. Disons que ces deux éléments sont si essentiels à la dramaturgie de la pièce que vous les décrire relèverait d’un immense spoiler. Disons simplement que l’univers est de plus en plus arc-en-ciel, que les roses dragée et fluo sont à la fête. Voilà, ça, on peut le dire sans trop en dire ! Restons sur la danse, qui avance dans une parodie de transmission. La chorégraphe veut décaler notre regard, comme si elle cherchait à cacher ses phrases précises. Nous sommes happé·e·s par le comique des situations, où quelques notes fredonnées de tubes obligent le trio à repenser encore un déplacement sauté de façon éléphantesque, ou une traversée sans jetés, mais aux bras en explosion. On a beau rire fort, le talent des corps nous saisit tout aussi intensément. Physiquement, la multiplication des sauts est épuisante, le rythme sans cesse accéléré, dans une forme de théâtralité qui demande au trio une attention décuplée.
Zonder, en néerlandais, cela veut dire « sans ». Ayelen Parolin tord les codes de la danse contemporaine en la cachant derrière le rire. Elle montre que, oui, on peut écrire des structures qui imposent aux interprètes de se retrouver parfaitement aligné·e·s, parfaitement placé·e·s, d’ouvrir leurs dos dans des fluidités de gestes. Quelque part entre l’opérette, le cirque et le théâtre, la danse d’Ayelen est très référencée, à la fois dans le classique et le contemporain. (On a dit, pas de spoiler, mais disons qu’elle s’éclate bien sur Le beau Danube bleu.) Nous avons vraiment la sensation d’entrer dans les salles de répétition, quand les danseur·euse·s comptent leurs pas (en allemand !) en chantonnant. Zonder s’enfonce dans le burlesque sans jamais, justement, perdre en exigence. Le rire, c’est sérieux !
Dans l’éclatement du beau, du lisse, du bien-fait, des corps qui rient, qui osent, qui dérèglent, Zonder est une danse qui déborde, s’affranchit, flirte avec l’excès. Le comique affleure, la joie surgit là où on ne l’attend pas, dans une extravagance pleinement revendiquée.