En novembre dernier, nous découvrions l’univers, très ancré dans la pop culture, de cette artiste formée chez P.A.R.T.S, et déjà interprète d’icônes telles que Nemo Flouret, Leïla Ka ou Robyn Orlin. Elle présente, dans le cadre des Inaccoutumés, son premier solo, This is la mort, une pièce percutante qui révèle encore des secrets bien gardés de LA salle de la Ménagerie de Verre.
Savoir bien commencer un spectacle, poser une image qui ne disparaîtra jamais de votre mémoire, n’est pas donné à tout le monde. Attention, spoiler : si vous comptez voir la pièce ce soir ou demain, ne lisez pas cet article avant. Une fois cette mise en garde posée, nous pouvons vous raconter un peu ce qu’il s’y passe.
Pour comprendre, il faut se rappeler la structure de cette salle, le Off, très particulière. C’est un genre de white cube, bas de plafond, comptant quelques poteaux. Avant d’être le haut lieu de la performance pensé par Marie-Thérèse Allier en 1983, cet endroit était une imprimerie, et la salle principale, un garage qui en a gardé la forme. Cette salle compte donc un rideau de parking et, parfois, les artistes s’amusent à l’ouvrir et à faire déborder le spectacle dans la rue.
C’est le choix de Zoé Lakhnati, qui apparaît en chevalier médiéval, totalement en armure : du casque à visière au plastron, aucun détail ne manque. L’image est d’abord drôle. C’est incongru, un chevalier du XIVe siècle errant rue Lechevin, dans le 11e arrondissement de Paris, non ? Il semble perdu, ce chevalier, mais quand il entre et qu’il referme la porte, honnêtement, on ne rit plus, on aurait presque peur.
La pièce s’empare de L’Atlas Mnémosyne de l’historien de l’art Aby Warburg. L’idée est de mettre côte à côte des images qui n’ont pas de liens entre elles. Dans un show de transformisme total, le chevalier devient une jeune femme solide, aux muscles augmentés, prête à se battre, dans un mouvement qui commence à se libérer, désormais affranchi des contraintes apparentes de l’armure. Vraiment ? La danse de Zoé semble dire que les carcans peuvent être intérieurs. Elle danse profondément, dans une marche qui puise dans la lenteur ; elle tourne sur elle-même, comme si elle allait se transformer à la façon d’une héroïne d’animé.
L’univers du dessin animé est omniprésent de manière plus large. Dans ses mues, elle devient autant Michael Jackson que Britney Spears ou qu’une surfeuse californienne. Nous avions trouvé que sa précédente pièce, Where the fuck am I ?, s’inscrivait parfaitement dans l’entre-deux de l’époque post-Covid, témoignant d’une belle porosité avec ce que l’on nomme « l’air du temps » et avançant encore d’un pas vers cette fusion entre pop et intellect.
This is la mort se place dans cette veine. On retrouve là-dedans les énergies de Nemo Flouret ou Solène Wachter : entendez la crème de la crème de la nouvelle génération chorégraphique. On sourit, on est surpris et, en passant, on la regarde danser, à fond, dans son écriture faite de rebonds, d’à-coups, de courses, de nuques qui se délient. Elle danse un mix contemporain-pop. Elle maîtrise absolument son espace et nous fait redécouvrir ce lieu si connu de la communauté de la danse. Vous le saviez, vous, qu’il y avait une trappe dans le sol ?
Elle fait danse et show de tout. Elle s’empare de la lumière comme du public et fait briller l’espace. Le travail sur le costume, pensé par Constance Tabourga, est magnifique et très surprenant.
Un siècle après Aby Warburg, Zoé Lakhnati crée son mur d’images, mais un mur qui bouge, vibre et n’a pas peur de l’absurde. Artiste physique, elle sait jouer d’une forme de théâtralité et confirme, avec cette proposition, qu’il faut désormais compter avec elle.
Du 12 au 14 mars à 20H30. Durée 45 mn.
Le festival Les Inaccoutumés se tient à la Ménagerie de Verre.
Visuel : © David le Borgne