Le superbe récital de Krystian Zimerman à la Philharmonie de Paris

L’élégance d’un grand artiste

Quelle noblesse, quelle prestance ! Avec sa redingote noire et son ample chevelure blanche, Krystian Zimerman a fière allure lorsqu’il entre sur scène. Né en 1956, le pianiste polonais s’est fait connaître, en 1975, en remportant le concours international Frédéric Chopin à Varsovie. Il va bénéficier de l’enseignement d’Arthur Rubinstein et de Sviatoslav Richter. C’est un pianiste exigeant, perfectionniste qui peut passer plusieurs décennies à explorer et étudier une œuvre. Il croit au contact direct avec le public. Pour lui « le phénomène artistique ultime c’est ce qui se passe dans la salle de concert ». Il joue ce soir sur son propre piano Steinway, un instrument qu’il peut, grâce à ses connaissances techniques, entretenir et adapter à l’acoustique de chaque salle.

Chopin, Brahms, le romantisme à l’honneur

Le concert débute par trois nocturnes de Chopin. Le nocturne opus 15 n°2 a été composé peu après l’arrivée du compositeur à Paris. Grâce à la beauté de cette célèbre mélodie, à la délicatesse du jeu du pianiste nous sommes transportés dans l’intimité du compositeur. Les notes semblent parées de velours… le public est séduit d’emblée.
Dédiée à Clara Schumann, terminée en 1852, cette sonate pour piano op 2 n°2 est en réalité la première écrite par Johannes Brahms (1833-1897). C’est une œuvre de jeunesse, de structure classique avec deux allegros, une andante, un scherzo. Et pourtant….cette sonate surprend par ses exigences techniques, son caractère dramatique, son audace. L’allegro initial débute de manière éclatante par une avalanche de notes, des accords impétueux, massifs. Puis des notes très graves semblent survenir des tréfonds du piano avant de laisser la place à la mélodie jouée par la main droite. L’intensité dramatique est frappante, comme la virtuosité de l’interprète. Le thème de l’andante est un chant allemand « Mir es leid », une mélodie toute simple qui met en valeur la sensibilité, la subtilité du jeu de Krystian Zimerman. L’auditeur sera séduit par le trio et son rythme de sicilienne. Le final est d’une grande modernité, témoignant de l’audace du jeune compositeur. Nous sommes surpris par les contrastes, les ruptures de rythme, la puissance sonore, le piano devenant à lui seul un véritable orchestre.

Des œuvres innovantes

Claude Debussy a composé Estampes, un ensemble de trois courtes pièces pour piano en 1903. Ce fut un tournant dans l’histoire de la musique. Le compositeur s’empare d’un sujet poétique et construit un rêve sonore. Dans Pagode Debussy s’inspire d’un orient imaginaire, mais aussi du souvenir d’orchestres balinais et javanais qu’il avait aimés lors de l’exposition universelle de 1889. Nous entrons dans une ambiance sonore très harmonieuse, avec toute une palette de nuances. L’auditeur peut imaginer le calme d’un temple asiatique, deviner les prières des moines. Puis, sans être jamais allé en Espagne, Debussy nous conduit dans une Soirée à Grenade. La musique est surprenante, étrange, la soirée garde un peu de son mystère. C’est une invitation à la danse avec des fragments d’une habanera, mais on entend aussi les échos lointains d’une fête avant que les dernières notes ne s’égarent dans la nuit. Le compositeur nous conduit enfin dans un Jardin sous la pluie qui permet à l’auditeur d’imaginer le bruit de la pluie et le gazouillement des oiseaux lors du retour du soleil. Krystian Zimerman, par son sens de la nuance, par la délicatesse de son interprétation nous fait pleinement ressentir la musique de Debussy.

Le concert se termine par une découverte : les variations sur un thème folklorique du compositeur polonais Karol Szymanowski (1882-1937). Aristocrate raffiné, grand voyageur, romancier, il est maintenant reconnu comme une figure majeure de la musique polonaise. Pour ses variations il a choisi, en 1900-1904, un thème folklorique à un moment où la Pologne restait sous occupation russe. Mais cette musique, au service du renouveau artistique polonais, est aussi une musique savante. Elle va nous séduire par son romantisme mais aussi par ses torrents de notes, ses arpèges coulants, ses accords plaqués. L’auditeur remarquera la variation n°8, une marche funèbre avec ses accords sombres et graves, mais il va être subjugué par la fin spectaculaire de l’œuvre. Krystian Zimerman qui a joué tout le concert avec retenue et sobriété est emporté par la musique. Sa virtuosité devient époustouflante, il joue avec tout son corps et nous offre une fin de concert en apothéose. Pour la plus grande joie du public qui va l’ovationner.