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Intense émotion avec le Requiem de Mozart par le Concert de la Loge au théâtre des Champs-Élysées

par Helene Adam
11.10.2023

Dans une soirée organisée par Les Grandes voix, le Concert de la Loge donnait, le 10 octobre, Mozart, sous la direction de son fondateur, Julien Chauvin, au Théâtre des Champs Élysées. Il a associé la symphonie concertante au célèbre et mythique Requiem, dans une interprétation sur instruments d’époque, très émouvante et magnifiquement servie par le Chœur de Namur.

 

 

 

Le dialogue de l’alto et du violon pour une symphonie concertante aux sonorités oubliées

 

 

Après avoir enregistré pour le label alpha, le Requiem K626, dans sa version dite de Paris (1804), Julien Chauvin et ses musiciens assuraient en cette rentrée d’octobre, trois concerts prestigieux, le 6 à l’Abbaye d’Ambronay, le 8 en la Cathédrale de Laon, dans le cadre des Festival d’automne, et le 10 à Paris.

Pour son enregistrement, Julien Chauvin avait choisi de relier cette version du Requiem donnée lors de sa création à Paris en 1804, à la Messe pour le sacre de Napoléon de Giovanni Paisiello écrite à l’occasion des festivités en l’honneur du futur empereur. Pour les concerts, c’est la virtuose Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre K. 364 qui a eu l’honneur d’ouvrir le bal.

 

Julien Chauvin tente autant que faire se peut, en 2023, de respecter scrupuleusement le Mozart authentique de son époque qui composa cet opus vers la fin des années 1770. C’est un modèle de qualité d’orchestration dont le compositeur avait le secret, trouvant l’alchimie complexe entre plusieurs « genres » à la mode dans ces années-là : le concerto grosso (avec une formation instrumentale conséquente) et la symphonie notamment, d’où cette appellation hybride de symphonie concertante. L’œuvre, d’environ trente minutes très intenses, est composée de trois mouvements, joyeux et rapides pour deux d’entre eux en mode majeur et allegro et vivace, et d’une nostalgique tristesse pour l’andantino gracioso en ut mineur. Le dialogue permanent entre la formation orchestrale – importante pour l’époque, mais assez réduite au regard des orchestres modernes qui jouent si souvent un Mozart beaucoup trop solennel – est une pure merveille, dynamique puis romantique puis pétillante, où le violon de Julien Chauvin et l’alto de Amihai Grosz, se répondent sans cesse, créant une sorte de tourbillon musical où le dialogue est roi, l’orchestre reprenant les thèmes après les solistes et ainsi de suite. C’est ainsi que l’on jouait Mozart, se dit-on alors, et l’on ne peut que remercier ces jeunes musiciens talentueux d’avoir ce goût de l’authenticité chevillée au corps, malgré les difficultés que présentent parfois ces instruments d’époque, un peu rustiques, surtout dans l’atmosphère un peu sèche des Champs-Élysées. Mais on ne peut qu’apprécier leur sonorité et surtout le contraste parfait entre le violon, brillant aux cordes soyeuses et l’alto sombre et plus grave qui lui répond.

 

 

Céleste Requiem

 

 

Puis vient le Requiem. On a tant écrit sur sa genèse qu’il n’est pas utile de rappeler ici dans quelles conditions épouvantables Mozart l’écrivit sur son lit de mort. C’est une œuvre bouleversante, tant par tout ce qu’elle évoque de cette fin prématurée qui nous priva sans doute de bien des pages inoubliables à venir, que par l’écriture en ré mineur qui lui confère cette infinie tristesse sans exclure quelques morceaux de bravoure à la gloire de Dieu et en mémoire du défunt. Un peu plus d’une dizaine d’années séparent les deux œuvres et l’on peut mesurer en les écoutant l’une après l’autre, à quel point la progression de Mozart en qualité de thèmes et en audace d’orchestration, en écriture pour les chœurs et quatre solistes lyriques, est spectaculaire. Il met la dernière main à La Flûte Enchantée tandis qu’il compose les différentes parties de cette messe des morts qu’il n’achèvera jamais.

Julien Chauvin choisit de nous proposer la version la plus complète possible, telle qu’elle a été complétée par divers contributeurs, dont principalement son élève Süssmayer sur la base des indications laissées par Mozart.

 

 

L’orchestre du concert de la Loge est un peu plus étoffé que pour la concertante et s’enrichit de quelques cordes supplémentaires, de cuivres et d’un orgue mécanique qui introduit le Requiem. Mais l’on reste par bonheur dans une dimension très mozartienne qui permet d’entendre ce Requiem si souvent donné sur toutes les scènes et dans les Églises, sous un jour plus intense et plus dramatique, sans esbroufe et sans recherche de décibels excessifs.

Car il s’agit bien d’un chef-d’œuvre absolu auquel il est rendu un hommage très émouvant qui plonge la salle dans un silence total, le temps étant comme suspendu durant les étapes de ce véritable calvaire que représente Mozart écrivant une messe des morts tandis que la sienne approchait à grands pas.

 

 

La direction de Julien Chauvin

 

 

On saluera d’abord la qualité exceptionnelle de la direction inspirée de Julien Chauvin qui a, cette fois, délaissé son violon pour diriger orchestre, chœurs et solistes. Marquant quelques pauses immobiles où le silence de la salle montre à quel point elle ne quitte pas Mozart pendant les silences, Julien Chauvin permet de créer quelques respirations bienvenues dans la tension qui monte au fur et à mesure des parties, virtuoses ou solennelles.

Les solistes, visiblement émus eux aussi, sont tout simplement magnifiques de simplicité, de beau chant, de recueillement. Dès le Requiem, la soprano Julia Lezhneva nous offre les délices de sa voix fruitée, aigue sans être stridente qui va contraster dès le splendide Tuba Mirum avec le timbre plus grave et plus corsé de la mezzo-soprano Eva Zaïcik. Les voix masculines ne sont pas en reste dans ce morceau particulièrement grave et solennel introduit par la basse Andreas Wolf à la voix profonde, après les arpèges du trombone ténor soliste. À l’inverse le timbre très clair du ténor Mauro Peter sonne comme un bref éclairage du thème répété par les solistes les uns après les autres.

 

 

Un chœur exceptionnel

 

 

Le Requiem est d’abord une affaire d’ensembles vocaux et le Chœur de chambre de Namur, installé derrière l’orchestre, occupe le devant de la scène dès le premier morceau, introduisant même directement le puissant Dies Irae qui résonne aussitôt de toute sa splendeur. Mozart a écrit quatre voix pour ce chœur et lui donne une place clairement prépondérante, l’orchestre accompagnant ses performances, les solistes ne donnant que quelques répliques comme en écho.

Et ce n’est pas un hasard si le public de connaisseurs qui remplissaient totalement la salle du théâtre l’a particulièrement ovationné pour la qualité exceptionnelle de sa performance tout au long de la soirée.

On saluera tout particulièrement un Rex Tremendae époustouflant où les quatre voix se répondent dans une stéréophonie impressionnante, avec cette fin en diminuendo qui vient mourir avant le Recordare en canon des solistes. Suivront un Confutatis qui alternent avec bonheur la dynamique énergique des voix masculines à la douceur pianissimo des voix féminines, et surtout le Lacrimosa, où l’art d’un chant céleste se déploie en douceur, la plus émouvante et tragique composition de Mozart avant l’Agnus Dei final dont on sait qu’il n’est déjà plus de sa main.

 

 

Un long silence est respecté avant les applaudissements d’une salle conquise et émue.

Mozart : Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre K. 364 / Requiem en ré mineur (KV 626).

 

Le concert enregistré le 8 octobre 2023 en la Cathédrale de Laon est disponible sur Culture Box.

 

Visuel : Julien Chauvin © Franck Juery