Le programme du 28 mars avait pour thème « les animaux en musique » et en une heure de temps, les artistes ont brossé quelques jolis portraits chantés et joués avec entrain, passant en revue les bruitages animaliers de facétieux compositeurs, comme les poèmes plus graves où l’animal sert de modèle aux comportements humains, sans oublier bien sûr celui qui a conquis ses lettres de noblesse dans le genre, Jean de la Fontaine et ses truculentes fables.
C’est d’ailleurs avec deux fables de La Fontaine – « Le Corbeau et le renard » d’Isabelle Aboulker puis « Le Renard et les raisins » de Benjamin Godard – que le concert débute.
Sophie Claisse (soprano), Marie-Cécile Chevassus (mezzo-soprano) et Christian Rodrigue Moungoungou (baryton), se livrent à une petite mise en scène à trois, mimant le malicieux renard et le vaniteux corbeau, brillamment accompagnés par le piano alerte et expressif de Florence Boissolle. On rit beaucoup à ces diverses déconvenues, les voix sont agiles et se répondent avec talent. Le caractère ludique est si bien rendu que l’on se réjouit d’une aussi belle interprétation de la mise en musique, elle-même très amusante d’ Isabelle Aboulker, compositrice spécialiste des contes musicaux, dont on découvrira d’ailleurs la création « Archipels » très prochainement à l’Opéra-Comique.
Benjamin Godard a également mis en musique six fables de la Fontaine adoptant un style sautillant presque dansant, que Christian Rodrigue Moungoungou interprète d’une voix grave et solide, avec une diction admirable de précision qui donne tout son sel à la « morale » de l’histoire.
Nous aurons également, un peu plus tard dans le programme, la mise en musique d’André Caplet, pour « Le loup et l’agneau », interprété par la mezzo-soprano Marie-Cécile Chevassus, généreuse et expressive malgré un vibrato parfois un peu envahissant. Et l’on a tout particulièrement apprécié cette mélodie et son brillant accompagnement piano, dans le style de Debussy dont Caplet était le contemporain, beaucoup plus variée et recherchée. André Caplet a ainsi mis en musique de très nombreux poèmes pour voix et toute sorte d’accompagnement (piano, orgue, harpe) malheureusement insuffisamment connus malgré leurs évidentes qualités. Debussy disait de lui : « Il sait trouver l’atmosphère sonore et, avec une jolie sensibilité, a le sens des proportions ».
Les Fables de la Fontaine termineront également ce concert, avec « La tortue et les deux canards » d’Isabelle Aboulker à nouveau, interprétée avec humour et force mimiques appropriées par la soprano et le baryton, puis un « bis » généreusement octroyé par les quatre artistes, sur « La belette entrée dans un grenier » achevant ainsi un beau cycle rempli d’humour et de malice.
Entre ces deux parties, nous changeons une première fois de style avec le poème de Baudelaire, extrait des « Fleurs du mal », « Les Hiboux » mis en musique par Déodat de Séverac, très belle pièce à laquelle la soprano Sophie Claisse accorde toute la mélancolie qui sied aux paroles délicatement mises en musique, pour exprimer dans un romantisme exacerbé, la vertu de l’immobilisme et de la méditation : « L’homme ivre d’une ombre qui passe/Porte toujours le châtiment/D’avoir voulu changer de place ».
De Baudelaire, nous aurons également le célèbre « Albatros » mis en musique par Ernest Chausson et interprété par Marie-Cécile Chevassus, avec un accompagnement piano virtuose, où les arabesques évoquent le mouvement des vagues et le ressac. Et c’est Sophie Claisse qui nous proposera une autre mélodie de Chausson, romantique, très lyrique et magnifiquement interprétée, « le colibri » sur un poème de Leconte de Lisle.
Et pour rester dans la tristesse et le drame, nous évoquerons également la très émouvante « Chanson pour le petit cheval » de Déodat de Séverac, sur un poème de Prosper Estieu, qui appartient au recueil « Flors d’Occitania » que le compositeur publia en 1906. Comme pour « Les Hiboux », la délicatesse très expressive du compositeur occitan fait merveille, on entend le galop de l’animal, et si notre baryton n’est pas toujours parfaitement à l’aise avec les sauts de notes exigés, l’ensemble traduit le drame et le final « Un glas lointain à mon oreille a retenti/Retournons-nous, pour fuir ce glas !/ Ma mie ! ma mie! ma mie est morte! » glace un court instant l’auditoire séduit.
Outre deux morceaux de piano seul qui permettent à Florence Boissoles de nous offrir la qualité de son jeu soliste, dans le vibrionnant « Rappel des oiseaux » de Rameau puis dans le virtuose « Oiseaux tristes » de Maurice Ravel, le programme parcourt plusieurs compositions musicales savoureuses à partir des Histoires naturelles de Jules Renard.
C’est drôle, enlevé et interprété avec beaucoup de talent par nos artistes : « La pintade », « Le cygne » et « Le Paon » de Maurice Ravel, où l’on reconnait la richesse instrumentale du compositeur, laissant entrevoir les « nuages » que le cygne poursuit « Et peut-être qu’il mourra, victime de cette illusion/Avant d’attraper un seul morceau de nuage » avec cette chute très drôle à laquelle Marie-Cécile Chevassus donne tout son piquant en ménageant le suspens sur ces derniers vers : « Mais qu’est-ce que je dis ? / Chaque fois qu’il plonge, il fouille du bec / La vase nourrissante et ramène un ver / Il engraisse comme une oie ».
La richesse d’un programme d’une heure se mesure également à son caractère extrêmement varié. Il était logique d’ajouter à ce thème des animaux quelques morceaux célèbres comme « Le Rossignol » de Stravinsky, « le duo des chats » de Rossini, celui des « dindons » de Edmond Audron (extrait de l’opérette « La Mascotte ») ou celui de « L’âne » d’André Messager, où se disputent talents de comédiens des chanteurs et humour de l’interprétation.
Lors du « duo des chats », c’est Marie-Cécile Chevassus qui se met au piano tandis que Florence Boissolle prend sa place au chant avec brio.
Un bien beau déjeuner musical que ces concerts-rencontres qui sont assidument fréquentés par un public fidèle et nombreux qui prend souvent sur sa pause méridienne pour profiter de cette heure de musique classique dans un amphithéâtre confortable à l’acoustique agréable.
Le prochain Concert-rencontre aura lieu le jeudi 4 avril à 13h. Au programme, des extraits d’opéras « légers » et d’opérettes. Cult.news y sera !