En direct du festival Le temps d’aimer la danse, à Biarritz, Rémi Rivière partage ses coups de cœur.
Cela aurait pu être la pièce la plus subversive du festival. En ce jour précis de manifestations féministes, ce manuel de dressage de femmes, programmé au Théâtre de la Gare du Midi, aurait été la promesse d’un rappel en musique à l’ordre austère du XVIe siècle. Mais la comédie de William Shakespeare, La mégère apprivoisée, pourrait aussi bien changer d’intitulé dans la création de Jean-Christophe Maillot, qui préfère en réécrire la morale, en proposant à cette fameuse mégère un compagnon enfin taillé pour l’aventure et aussi rétif qu’elle aux exercices de domptage. En plongeant dans la narration avec un ballet classique, le directeur des Ballets Monte-Carlo impose un genre de comédie musicale qui, à l’inverse du livret original, devient une ode à l’amour intransigeant. Ce dépoussiérage vigoureux fait voler la morale Shakespearienne, jugée « insupportable » par Jean-Christophe Maillot, libère cette pauvre Katharina qui se morfondait depuis quatre siècles avec un mari comme il fallait, mais garde les archétypes des relations amoureuses comme matière d’étude dans une perspective toujours actuelle. Disons-le sans spoiler, le tableau est optimiste et clame, comme dans Cendrillon, que chacun peut trouver chaussure à son pied. Tout dépend de la pointure et de l’ambition. Dans cette pièce en deux temps, il s’offre le luxe de multiplier les couples comme autant d’exemples d’arrangements entre adultes. Katharina peut donc reprendre confiance et reste cette femme « exceptionnelle », qui réfute les règles sociales et la médiocrité et ne mettra fin à la solitude dans laquelle le maintien « son caractère épouvantable » qu’au prix d’une rencontre rare, coup de foudre, fusion, relation instinctive. Et puis il y a Petruchio, taillé dans le même bois, qui se joue des conventions avec malice pour maintenir son désir intact. Ces deux-là se reconnaitront au premier regard. Citons également dans le désordre, Bianca, bien sûr, la sœur cadette qui cumule fortune, grâce, beauté et docilité, Gremio, qui pense que son argent fait tout, Grumio, le valet couard, Hortensio, le beau gosse amoureux de lui-même, une veuve très consolable pour peu qu’elle retrouve son monde et Lucentio le gendre lisse et parfait. La comédie peut commencer dans un ballet exclusivement narratif —sans danse superflue—, qui raconte ce chassé-croisé prometteur sans les mots.
Pour Jean-Christophe Maillot , qui « ne juge jamais les intérieurs ni les couples », la nouvelle morale de cette histoire relève davantage d’une ambition que d’une leçon. Là où les couples se construisent par intérêt, l’amour le plus complexe, le plus improbable, le plus exigeant devient « idéal ». Un thème que le chorégraphe pourrait tirer de son propre récit. Bien avant de la créer en 2014 pour le Ballet du Bolchoï et quelques-uns des ses 260 danseurs, Jean-Christophe Maillot a imaginé cette Mégère apprivoisée il y a 23 ans, pour l’une de ses danseuses, avec laquelle il vient de convoler en justes noces il y a quelques jours. L’allégorie de cet amour exigeant devient une sorte de règle de vie, qu’il applique à sa gestion parfaitement libre des Ballets comme à sa relation avec les danseurs. Les Ballets de Monte-Carlo sont ce havre de paix qui échappe, depuis 32 ans qu’il les dirige, aux politiques culturelles successives qui, en France, font et défont les projets et sabrent les ballets. Dans une principauté de seulement 36 000 habitants, les Ballets de Monte-Carlo sont à la fois le temple de cette tradition et une ambassade dans le monde. Leur budget n’a jamais souffert la moindre condition ni suscité le moindre commentaire. Cette constance est gage d’une parfaite autonomie et permet de faire vivre le genre mais aussi de constituer cette redoutable armée de danseurs —cinquante à Monte-Carlo—, qui peuvent passer indifféremment de solistes à corps de ballet. Dans cette belle famille, chaque danseur partage un moment de vie, dans le souci constant de son désir. Pour cette raison, Jean-Christophe Maillot ne souhaite pas créer pour des compagnies dont il ne connaît pas les danseurs. Cette parenthèse, il y a dix ans au Bolchoï, lui a demandé trois ans de rencontres régulières. Quant à la relation avec Biarritz, elle n’a même pas attendue l’installation de Thierry Malandain, avec lequel Jean-Christophe Maillot dit « partager le même ADN ». Les grands ensembles et la tradition du Ballet, c’était aussi la grande affaire de Jakes Abeberry, fondateur du festival Le Temps d’Aimer la Danse. Ces deux soirées virtuoses lui sont dédiées par le festival, sur fond de triomphe de l’amour le plus insensé.
Rémi Rivière
Le festival Le temps d’aimer la danse se tient jusqu’au 16 septembre à Biarritz.
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Visuel : © Alice Blangero