Le 7 octobre 2023, le Hamas a attaqué Israël. Et tout a commencé sur le lieu d’un festival de musique. Le son et la vie de personnes qui étaient venues danser ont été coupés. C’est comme cela qu’a commencé ce pogrom du XXIe siècle, laissant le monde de la culture, en France comme dans le monde, silencieux. Qu’est-ce qu’une date ? Il y a eu le 11 Septembre, le 7 Janvier, le 13 Novembre… Pourquoi avons-nous mis tant de temps, dans le monde de la culture, à dénoncer la mort de civils venus faire la fête, à réaliser quel sort avait été destiné aux femmes, violées et massacrées, à comprendre que c’était un mode de vie et de culture auquel nous tenons tellement qui était menacé par le terrorisme ?
La culture, peut-être plus que jamais, permet de remettre le son et de ne pas nous arracher d’une partie de la tragédie humaine qui se joue et qui nous atteint toustes. La musique, touchée en son sein le 7 Octobre, peine à trouver les mots, les mélodies. La rappeuse israélienne Noga Erez signe cet automne son album Vandalist comme une ode à son identité, à son existence, mais qui ne dit pas un mot des actes terroristes. Comment en parler ? Le chanteur palestinien Saint Levant reste tout aussi désemparé, cherche ses mots, et nous interroge : comment se sentir chez soi quelque part quand on a « (son) corps à Paris, (son) cœur à Gaza » ? Comment en parler ? Sur les scènes de théâtre, le 7 Octobre est aussi omniprésent que discret. Il plane, s’inscrit, timidement, sur l’écran en fond de scène de la dernière pièce de Mohammed El Khatid. Le metteur en scène prononce, en conclusion du dispositif brechtien de La Vie secrète des vieux, sa solidarité avec le peuple palestinien. Quant à Hannan Ishay et Ido Shaked, iels signaient la clôture du festival Spot au Théâtre de la Villette avec Mode d’emploi pour metteur en scène israélien en Europe. Ensemble, iels pointaient assez justement les amalgames entre les juifs de France et la politique du Likoud à quelques milliers de kilomètres de distance. Comment en parler ? La sidération est partout, alors, pour continuer à écouter mais aussi à voir, nous suivons en anglais – comme quasiment 5 millions d’abonnés – la journaliste Bisan Owda. La militante de 27 ans, rentrée chez elle quelques jours avant, « couvre » depuis le quotidien à Gaza dans son « émission » sur Instagram et sur TikTok : « I’m Bisan from Gaza and I’m Still Alive ». Nous la suivons comme nous avons lu le livre-somme du journaliste israélien d’Haaretz, Amir Tibon, survivant du 7 Octobre dans un kibboutz à 700 mètres de Gaza, qui livre à la fois une analyse de la façon dont nous en sommes arrivés là, une déclaration d’amour à son pays et un plaidoyer pour la paix et le retour des otages.
Qu’est-ce qu’une date ? Après le 7 Octobre, nous avions essayé d’être un peu combatives avec cet édito « La culture, combien de divisions », annonçant une envie d’en découdre pour conserver une zone de dialogue par la culture. Mais nous devons avouer que la tâche a été rude, cette année, avec, en fait, beaucoup de silences et de non-dits dans la sphère culturelle. Quand nous posions la question, à la programmatrice du musée de l’Histoire de l’immigration : « Pourquoi il n’y a pas de proposition réflechissant l’antisémitisme dans son « Grand Festival » contre le racisme et l’antisémitisme du printemps ? », nous recevions comme réponse : « Nous voulons continuer de croire que l’antisémitisme fait partie du racisme. Mais il est vrai que nous avons peu de propositions sur l’antisémitisme. » Vraiment ? Alors oui, la culture demeure un dernier bastion pour que se parlent ceux et celles qui ne peuvent plus se parler. Et oui, en novembre 2023, nous avons été à la fois partenaires de Jazz’n Klezmer et du Festival du film franco-arabe (FFFA) qui mettait en avant la réalisatrice libanaise Jocelyne Saab chez qui, déjà en 1985, l’amour était aussi impossible que la paix. Et cela continue, cela recommence cette année. Jazz’n Klezmer ouvre le 6 novembre avec un spectacle sur les enfants d’Izieu en dessins et le focus Gaza au FFFA commencera par le court métrage Vibrations From Gaza de Rehab Nazzal, le 20 novembre. Mais petit à petit, au fur et à mesure que nous nous sentons de plus en plus dépassées et impuissantes pour faire notre métier comme il se doit, nous arrivons à la conclusion qu’il faut marcher, avancer, pas après pas.
Qu’est-ce qu’une date ? Aujourd’hui, c’est le 7 octobre 2024, et, un an après, près de 101 otages ne sont pas revenus de Gaza et des morts n’ont pas été enterrés. Et cela, sans compter les milliers de morts côté palestinien, et depuis quelques semaines, côté libanais. Cela sans compter les milliers de blessés, dans leur chair et dans leur âme, qui jamais n’oublieront cette date. Cela sans compter ici en France la hausse sans précédent au XXIe siècle des actes antisémites. Qu’est-ce qu’une date ? Ce 7 Octobre, prenons le temps d’y penser, puis de voir ce que la culture a à nous dire des lendemains, du 8 octobre jusqu’à aujourd’hui, pour essayer de créer, par la culture, des ponts et du sens dans un monde qui n’en a plus.
Belle semaine à toutes et à tous!
Yaël, Amélie, David et Laura
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