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« Sans humain à l’intérieur » de la Compagnie Avant l’Averse au Mouffetard

par Margot Wallemme
29.02.2024

Puissant spectacle aux métaphores filées, léger par son humour, dur par son sujet, Sans humain à l’intérieur, création 2021 de la compagnie Avant l’Averse, devient passeur de mémoire d’une guerre contemporaine.

Le témoignage d’une guerre contemporaine

Lorsque Raquel reçoit par hasard le journal d’Atef Abu Saïf, habitant de Gaza, dans lequel il raconte depuis 2014 la guerre et la présence constante des drones dans son quotidien, elle se retrouve confrontée à une amère sensation. Que dire, comment répondre au récit d’une personne dont la vie ressemble si peu à la sienne et celle de son ami Cand ? Que sait-elle du Moyen-Orient, de la guerre, de ces drones menaçants qui épient chaque déplacement suspect ?

 

En occident, les drones peuvent, pour certain·e·s, renvoyer à un imaginaire créé par les films d’action, la science-fiction, les jeux vidéo. On peut collectionner les maquettes, admirer la technologie aéronautique, la puissance technique d’un tel appareil, oubliant parfois que les drones de la vraie vie tuent de vraies gens.

Ces instruments, sans humains à l’intérieur, sont pourtant pilotés à distance par des individus. Et, cette distance rend floue l’analyse, pixelise l’observation. Plus on s’éloigne du foyer des conflits, plus cet écart s’étire, plus on se détache de la réalité, jusqu’à l’indifférence.

Un noeud difficile à démêler

En envoyant son journal à Raquel, Atef Abu Saïf fait surgir une pelote que les personnages entortillent et tentent de démêler. Pour tenter de répondre à leurs questionnements, Raquel et Cand se lancent dans la reconstitution de différentes situations. Tour à tour, les deux ami·e·s font jouer des figurines, maquettant visuellement le témoignage de personnes dont la vie est menacée par les drones. Il et elle interprètent aussi les humain·e·s qui commandent ces engins volants à distance.

De ces perspectives se forme un nœud de points de vue croisés. Et, au-delà, se trouvent les vies de Raquel et Cand. Cet exercice empathique développe alors progressivement la prise de conscience de Raquel et Cand.

 

Les trois visions qui émergent, les trois points de vue traités par la pièce traduisent avec subtilité la difficulté que l’on rencontre lorsque l’on aborde ce sujet. Que faire ? que dire ? Comment agir ? Toute réponse semble idiote, inadaptée, illégitime.

Les personnages évoluent par phase, donnant à voir un échantillon de réactions. Irritation, colère, impuissance, sensation de culpabilité, déni. En remuant la pelote, le nœud se détend parfois, puis se resserre. Raquel lance la balle à Cand, la question est trop complexe à démêler, « J’ai plus envie. » décrète-t-elle.

Mais Cand ne s’arrête pas là, il tente jusqu’au bout de trouver les mots justes pour répondre à Atef Abu Saïf. Et, finalement, c’est par ce théâtre d’objets, par ce spectacle, que Cand et Raquel trouvent leur réponse.

 

La menace du rocher suspendu

Au centre du plateau, un rocher suspendu par des fils rouges. Symbole de la menace, du drone qui observe, de l’atmosphère pesante, le rocher est l’élément central du décor dépouillé imaginé par Cerise Guyon. Sous le rocher sont édifiés des petits immeubles en plâtre habités par de modestes personnages en forme de pion. L’écran de contrôle des commandant·e·s du drone est, quant à lui, symbolisé par un marchepied sur lequel sont tracés, à la craie, des itinéraires de convois suspects.

 

La sobriété des éléments visuels permet de faire ressortir le jeu et les gestes des comédien·ne·s-marionnettistes. Rien ne manque, tout se suffit. Les conceptions lumière et sonore, signées respectivement par Romain Le Gall Brachet et Thomas Demay, sont, elles aussi, légères et discrètes, participant à la fluidité de la pièce et à l’enchainement des scènes.

L’atmosphère qui se dégage du plateau est particulière. Cand et Raquel, font un chemin de prise de conscience et nous emmènent dans leurs reconstitutions, nous sommes proches, presque ami·e·s. Ce qu’il et elle racontent est une histoire, c’est un spectacle, mais c’est surtout une réalité. Et, quand Cand et Raquel annoncent, après les vifs applaudissements du public, les dernières nouvelles d’Atef Abu Saïf, la réalité surgit de plus belle.

 

Jusqu’au 10 mars au Mouffetard

Mardi au vendredi : 20 h
Samedi : 18 h
Dimanche : 17 h

Durée : 1h10

Mise en scène : Lou Simon
Dramaturgie : Lisiane Durand et Lou Simon
Interprétation : Cand Picaud et Raquel Silva
Scénographie : Cerise Guyon
Conception lumière : Romain Le Gall Brachet
Conception sonore : Thomas Demay
Construction : Cerise Guyon, Morgan Czaplinski, Lou Simon
Diffusion : Laurent Pla-Tarruella

Visuels : ©Christophe Loiseau