Dreamers est le nom du spectacle de professionnalisation de l’École du Théâtre National de Bretagne, sous le mandat d’Arthur Nauzyciel. Ce deuxième volet entérine les trois ans de formation de la deuxième promotion : vingt artistes merveilleusement avides de suer sang et eau, tant que la scène leur donne le rythme du jeu.
En 2021, Dreamers #1, réalisée avec les élèves de la promotion 10 de l’École du TNB, relatait sous la forme d’une pièce chorale les songes des jeunes acteur·ices, quelque part entre convoitises et châtiments. Ce soir, nous sommes assis·es au premier rang, pile au centre des vingt nouveaux·elles élèves. Voir le spectacle de fin de celles et ceux qui terminent, à côté de celles et ceux qui commencent, et qui seront les dernier·ère·s dreamers, donne une sensation de précipité assez intense. Ça, c’est pour le côté pile.
Côté face, nous sommes chez Pascal Rambert. Le cadre est blanc, les ongles sont blancs, mais les tenues sont noires et les cheveux presque tous laqués. Tout commence par une remontée de souvenirs. Ces futur·es ancien·nes nous racontent les réminiscences du spectacle de fin de formation précédent. On entend des prénoms qui, depuis, sont devenus des noms régulièrement présents sur les scènes. Iels, nous ne les connaissons pas encore, mais c’est temporaire. Toujours, Rambert nomme les artistes par leur vrai nom, c’est l’une de ses signatures, qui permet d’injecter de la fiction dans le réel, ou bien l’inverse.
Alors, on sait désormais qu’iels se nomment : Esther Armengol, Bonnie Barbier, Julie Borgel, Alison Dechamps, Stéphane Delile, Lucille Camus, Félicien Fonsino, Hortense Girard, Tristan Glasel, Ramo Jalilyan, Fanny Laborie, Esther Lefranc, Charlotte Leroy, Woodina Louisa, Paolo Malassis, Dylan Maréchal, Nathan Moreira, Eli Roy, Pierre Thionois, Zaïna Yalioua. Et iels sont la promotion 11 de l’École du TNB.
Le premier vrai acte de la pièce est de les voir se rassembler autour du piano, dont s’empare Hortense Girard. Iels se mettent à chanter en chœur, avec bien plus d’espoir, et de désespoir aussi, que dans la version originale : Imaginer l’amour de Juliette Armanet. Les paroles sont le fil conducteur de cette pièce qui, nous le comprenons, est un réquisitoire organique sur le désir, l’amour, avec la danse et le théâtre comme moteurs. Lisez plutôt :
Imaginer le soir et les splendeurs barbares, accoudé·e à ton bras
Imaginer courir dans les forêts et rire au rythme de ta voix
Imaginer l’amour, toi et moi dans la tour, les étoiles en plein jour
Imaginer la vie que je n’aurai jamais, en tout cas pas ici
Imaginer l’été et les lumières beurrées qu’il y aurait dans ton cou
Imaginer encore, imaginer plus fort jusqu’à me rendre fou
Imaginer l’amour, toi et moi dans la tour, les étoiles en plein jour
Imaginer la vie que je n’aurai jamais, en tout cas pas ici
Ouh, waouh, ouh, waouh
Ouh, ouh, ouh, waouh
Ouh, waouh, ouh, ouh, ouh
Imaginer le bruit que l’on ferait la nuit quand je prendrais ton corps
Parfois tu chuchoterais, ça ferait comme des bracelets pour défier la mort
Imaginer l’amour, ça me joue bien des tours, mais j’en demande encore
Comme je l’aime cette vie que je n’aurai jamais, en tout cas pas ici
Et bien sûr, j’imagine qu’jamais tu t’imagines que je sois dans le décor
Heureusement, j’ai ma tête qui m’emmène à la fête, parfois jusqu’à l’aurore
Imaginer l’amour, c’est tout ce qu’il me reste pour respirer encore
Je l’aimais cette vie que je n’aurai jamais, en tout cas pas ici
Le piano est rangé, et la teuf, la vraie, démarre. La techno tape à 120 bpm, redoublant d’efficacité. Iels marquent le tempo. La chorégraphie d’Olga Dukhovna leur permet de pivoter avec justesse sur leurs chevilles et de taper des épaules les montées des basses. Pendant la moitié de la pièce — soit une heure sur les deux que dure le spectacle — nous sommes dans un sous-sol berlinois : la rave retient la nuit, la drogue et l’alcool délient les langues, réelles et symboliques.
Sur cette musique très sexuelle, les corps, justement, deviennent plus libres. Ils quittent leurs carcans, se rapprochent. Les langues se délient aussi, et les récits nous emmènent loin, dans des villes où la solitude est un luxe. Nous voici à Rome, Tokyo ou Wuppertal. Toutes les histoires proviennent d’eux et elles. C’est à la fois un portrait d’eux et elles, et une photographie de leur temps présent. En les faisant parler en dansant sérieusement, Rambert les met en difficulté. Et pourtant, le souffle n’est jamais court, et le geste jamais bâclé.
La pièce n’a rien d’un spectacle de fin d’année. C’est absolument une pièce de Rambert, et une très bonne ! Ce qui est sûr, c’est que les noms de ces artistes-là comptent déjà.
Le festival du TNB se poursuit jusqu’au 23 novembre
Visuel :© Gwendal Le Flem