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« Where the fuck am I ? », le lip-sync corporel de Per-Anders Kraudy Solli et Zoé Élijah Lakhnati à la Ménagerie de Verre

par Amélie Blaustein-Niddam
15.11.2024

Ce duo s’est rencontré dans la célèbre école d’Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles, P.A.R.T.S., et ce spectacle constitue leur travail de fin d’études en 2022. Depuis, elle et lui ont déjà dansé pour d’autres projets, et elle sera notamment artiste associée à La Ménagerie en 2025. Dans un geste d’archive proche, le festival Les Inaccoutumées et Danse Dense nous entraînent entre un moonwalk et une espièglerie aux tresses rousses.

My loneliness is killing me

 

Elle et lui nous attendent assis, tels des moineaux perchés sur une enceinte. Au sol, un grand tissu violet donne une direction. Le premier geste est un déroulement du fil du micro, jusqu’à le tendre pendant que lui donne de la voix. Entre un beatmaker et un chanteur, il scrolle de la voix, passant en revue à la vitesse d’un zapping télévisuel en 2005 tous les clips de MTV et les vidéos des débuts de YouTube. Ensemble, iels incarnent les éléments de la culture pop qui les constituent. Alors oui, Britney, Prince mais aussi Sinatra et son Fly Me to the Moon, et surtout Michael Jackson — beaucoup Michael Jackson — pour qui Per-Anders voue une passion.

 

Au début, on se situe dans une écriture proche de celle de Vincent Thomasset, qui, l’année dernière, s’amusait lui aussi avec son Vidéo-like (lire l’article) : un scroll chorégraphique qui, bien avant que cela ne soit tendance, malaxait la voix comme un matériau de danse, saisissant la façon dont la pop culture se glisse dans les corps. On pense aussi à For You, le faux concert de Solène Wachter (lire l’article), où elle convoque ses idoles pop dans un show à l’américaine.

Tout cela pour dire que « Where the fuck am I ? » s’inscrit parfaitement dans l’entre-deux de l’époque post-Covid, témoignant d’une belle porosité avec ce que l’on nomme « l’air du temps » et avançant encore d’un pas vers cette fusion entre pop et intellect.

Who’s bad ?

La pièce évolue en trois grands mouvements. Comme tout bon peintre, il faut commencer par le figuratif. Alors, elle danse ce qu’il parle ou chante. C’est hyper drôle : elle roule des yeux presque comme dans un animé, se cambre et fait le dos rond comme un chat de manga, accompagne du doigt une parole. Lui et elle se dévoilent : une super danseuse et un super performeur. On a envie que cela aille plus loin, et iels semblent nous avoir entendu·es.

 

La littéralité joyeuse mais attendue laisse place à une abstraction dépouillée de voix, puis à une dissociation. Ce procédé, qui pourrait se résumer à geste + geste = abstraction, permet d’entrer dans le cambouis de la création. Comme mentionné, il s’agit de leur spectacle de fin d’études chez P.A.R.T.S. Il est fascinant de constater comment le même mouvement, vidé de son sens premier, peut nous emmener ailleurs, dans une forme de folie et d’angoisse qui donne au corps une allure incohérente mais étrangement juste.

 

Finalement, cette pièce, profondément jubilatoire, pose la seule question qu’un·e artiste doit se poser : « Where the fuck am I ? » Autrement dit, comment trouver le lieu et l’espace pour penser des formes qui traduisent ses propres interrogations ? La pièce finit par apparaître comme un portrait croisé de génération, plus profond qu’il n’y paraît au premier abord.

Les Inaccoutumés : jusqu’au 23 novembre, à la Ménagerie de Verre, 12 rue Léchevin, 75011, Paris.

 

Danse Dense : du 13 novembre au 6 décembre 2024, lieux divers.

 

Visuel : ©Ménagerie de Verre