Dans le cadre des 3 œuvres présentées par le collectif El Conde de Torrefiel au Festival d’Automne, la Maison de Métallos accueille Guerrilla, un captivant spectacle entre théâtre et danse comme aime le concevoir le duo helvético-espagnol.
Par Didier Duplenne
Le spectacle commence progressivement avec sur la scène quatre rangs de chaises vides, face à la salle toujours allumée, qui vont peu à peu accueillir les 25 participants à une conférence / interview du célèbre metteur en scène Romeo Castellucci dont on apprend qu’il vient de gagner un prix prestigieux. Nous sommes en 2027, un futur très proche, pour ne pas dire demain. Une bannière de sur-titres à mi-hauteur de la scène va nous délivrer tout le texte du spectacle : le contexte temporel et historique, la description des personnages/protagonistes de la séquence, leurs pensées et ce, sans qu’aucun, jamais, ne prenne la parole. La bande son diffuse une interview en italien (et sans traduction) du conférencier. Le texte nous décrit certains des protagonistes (“La femme en jaune assise au 1er s’appelle J et est canadienne…” et leurs parcours de vie.
Après ce premier tableau, un deuxième qui figure un cours de tai-chi pendant lesquels on lira les pensées et les conversations de certains des participants, mêlant et mettant sur le même plan et dans un certain chaos mental des détails de leur vie privée, des considérations sur l’état du monde qui change et devient dangereux.
Le troisième tableau est une boîte de nuit où 50 danseurs, sur fond de (très bonne) musique techno, vont danser pendant 30mn. Et alors qu’en quelque sorte, on danse sur un volcan, les surtitres nous parlent de la “guerre de 29”, dont on comprendra qu’il s’agit de 2029. L’Inde, la Chine et la Russie ont formé une nouvelle alliance conquérante et prédatrice, l’Europe a en grande partie succombé au totalitarisme. Le monde est en guerre, le chaos s’installe et chacun et chaque pays tente de sauver sa vie, son esprit, son petit monde personnel, ses ressources. Cette guerre, ironie terrible digne du roman 1984, voit son nom inscrit en grand au milieu de la scène à la toute fin du spectacle : La Guerre Honnête.
Si le texte présenté paraît coller si bien à la situation et à nos inquiétudes actuelles, c’est parce que sur la base de celui de la création en 2016, les auteurs l’adaptent au moment, à la ville où le spectacle est donné et intègre même les inputs d’habitants de la ville. On peut donc imaginer que l’œuvre continue à se jouer longtemps, et partout, offrant à chaque fois, un instantané des préoccupations de l’époque.
Le duo constitué de Tanya Beyeler et Pablo Gisbert travaille de façon assez conceptuelle, sur trois piliers : le texte, le mouvement, et le son. Là ou d’habitude un spectacle tend à les mélanger pour n’en faire qu’un tout cohérent, El Conde de Torrefiel les garde distincts, dérangeant notre perception et nous obligeant à être tout entier concentré sur ce que nous percevons.
Scénographie précise, texte sec, acteurs/silhouettes/danseurs muets mais présents, bref, on se dit que l’on voit ici l’antinomie absolue d’un autre spectacle qui se joue en ce moment aujourd’hui à Paris : Avant la Terreur de V.Macaigne, tout de fracas, de bruit, de fureur et de désordre.
Captivant, sombre et ironique, formaliste, c’est un magnifique spectacle.
Guerrilla – El Conde de Torrefiel – Festival d’automne
Jusqu’au 15 octobre à La Maison des Métallos
Visuel :© El Conde de Torrefiel