La Scène nationale de La Rochelle accueille régulièrement des têtes d’affiche et des ensembles prestigieux. Philippe Jaroussky et l’ensemble Artaserse sont arrivés sur le plateau de La Coursive avec à leur programme un opéra oublié de longue date : L’Orfeo d’Antonio Sartorio (1630-1680).
On ne présente plus le contre-ténor Philippe Jaroussky tant il attire les foules à chacune de ses apparitions. L’ensemble Artaserse, encore tout jeune – il a été fondé en 2022 – est composé de musiciens talentueux qui défendent avec panache un répertoire ou des compositeurs souvent oubliés. C’est le cas du compositeur vénitien Antonio Sartorio (1630-1680) que peu de personnes connaissent de nos jours. Le travail de recherche effectué en amont de la tournée par Philippe Jaroussky est d’autant plus méritoire que même si le répertoire baroque regorge de pépites oubliées à découvrir, le nombre d’ensembles qui se spécialisent dans ce répertoire est impressionnant. Soucieux de donner sa chance à la jeune génération d’artistes lyriques, Jaroussky et ses musiciens ont pris soin, pour la renaissance de cet Orfeo méconnu, d’inviter une distribution jeune et très prometteuse.
Pour la mise en scène de cet Orfeo, Jaroussky s’est associé au comédien et metteur en scène Benjamin Lazar. Et ce dernier fait un excellent travail sans jamais tomber dans le piège d’une modernité à tout crin. Les artistes et les danseurs évoluent dans un décor unique en forme de théâtre antique qui se pare d’accessoires quand cela est nécessaire. Le jeu des miroirs vénitiens est fort bien pensé puisqu’il suffit de tourner le fond de scène du théâtre antique pour les faire apparaître en lieu et place du fond de scène en bois. On saluera les beaux costumes d’Alain Blanchot, et les lumières magnifiques de Philippe Gladieux qui mettent les artistes dans un écrin.
Philippe Jaroussky a fait confiance à une équipe jeune et dynamique. Ainsi, la jeune et séduisante contralto Lorrie Garcia est exceptionnelle en Orfeo que l’on découvre sous un jour inattendu : très amoureux d’Eurydice, il est aussi fou de jalousie lorsqu’il la voit « flirter » avec son frère Aristée à plusieurs reprises sans jamais réaliser que c’est Aristée, son frère, qui poursuit Eurydice de ses assiduités. La jeune femme transcrit parfaitement les sentiments contradictoires du poète qui n’oublie pas, au milieu de ce maelstrom d’émotions intenses et contradictoires, de flatter son ego (les miroirs vénitiens jouent là un rôle crucial). Face à Lorrie Garcia, Michèle Bréant incarne une Eurydice de très belle facture. Très en voix, la jeune femme donne vie avec conviction à la jeune et séduisante épouse du poète. Seuls le philosophe Esculape et l’amoureux Aristée, encouragé par sa nourrice, mettent des bâtons dans « les pattes » des amoureux. Éléonore Gagey est très convaincante en Aristée transi d’amour pour sa belle sœur. Ce personnage qu’on n’a pas l’habitude de voir n’est pas sympathique au premier coup d’œil ; Don Juan avéré, il n’assume pas son amour pour Eurydice, qu’il courtise pourtant devant Orfeo lui même qui ne réagit pas, ni son amour pour la séduisante Autonoé à laquelle il est fiancé. Le ténor Clément Debieuvre est excellent dans le rôle de la nourrice Erinda ; il assume crânement le personnage de la femme mûre qui tente encore de séduire des hommes jeunes tout en jouant les entremetteuses entre Aristée et Eurydice qu’elle tente de faire tomber dans les bras de son cher « protégé ». Dans les rôles secondaires, on saluera les très belles performances de Alexandre Baldo (Esculape/Pluton), Anara Khassenova (Autonoe), Matthieu Heim (très beau Chiron et Bacchus). Le « duo » Abel Zamora (Hercule) et Fernando Escalona (Achille) se fait remarquer même si on voit peu les deux demi-dieux. Quant à Guillaume Ribio (Orillo), il fait jeu égal avec Clément Debieuvre (Erinda) dont il est le complice de jeu.
Dans la fosse, l’ensemble Artaserse accompagne les artistes sur le plateau avec talent. Très inspiré, Philippe Jaroussky adopte des nuances et des tempos parfaits, soulignant idéalement les voix de chaque chanteur. Le travail de recherche que le chef a réalisé en amont de cette tournée est impressionnant, et la musique de Sartorio est parfaitement restituée par les musiciens. La belle sonorité de l’orchestre impressionne un public venu nombreux pour une occasion unique.
C’est donc à une représentation exceptionnelle à laquelle nous avons assisté en ce beau dimanche de février, car il y a bien longtemps qu’il n’y avait pas eu d’opéra à La Rochelle. Le grand succès de cet Orfeo rarissime est aussi dû à une distribution jeune, talentueuse et survoltée par le défi que représente le chef-d’œuvre de Antonio Sartorio.
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Visuel : © Gilles Le Dilhuidy