Après Œdipe en 2021, le directeur de La Colline, Wajdi Mouawad met en scène la fable symboliste que Claude Debussy a peaufinée pendant 10 ans sur le livret sentimental de Maeterlinck. Avec Antonello Manacorda à la direction de l’Orchestre de l’Opéra, Huw Montague Rendall et Sabine Devieilhe en amoureux interdits, cette nouvelle production de Pelléas et Mélisande à l’Opéra Bastille met en avant les subtilités de la musique dans un clair-obscur vidéo un peu suranné.
« Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes », chante le roi Arkel (Jean Teitgen). La très jeune Mélisande et ses longs cheveux (Sabine Devieilhe parfaite en nymphe art nouveau blonde et doublée en silhouette de naïade au bain pour le flux vidéo) épouse un prince plus âgé, Golaud (Gordon Bintner) mais en présence de son jeune frère, Pelléas (Huw Montague Rendall), elle est submergée par ses sentiments et vice-versa. C’est puissant, c’est irrationnel et c’est tellement plus vivant que le caractère obtus de la loi. Lorsque les sentiments des amants interdits sont révélés par le petit Yniold (Anne-Blanche Trillaud Ruggeri), l’appel des âmes est aussi un flirt avec la mort.
Pelléas est un opéra exigeant pour qui aime l’opéra dans sa forme la plus classique. L’effet est un peu celui que ferait un film comme Autant en emporte le vent en une ou très peu de prises. En effet, Debussy a adapté la version du mythe de Tristan et Isolde par Maeterlinck avec la ferme volonté de créer ses 12 tableaux d’une traite, pour que le flux et le saccadé douloureux des sentiments ne soient jamais figés par sa musique. Les arias s’arrêtent d’eux-mêmes et les mots priment parfois sur les voix. Et pourtant, quelle puissance délicate dans les intermèdes et quels moments précieux que certains débuts de confessions interrompues. Le duo formé par l’extraordinaire Sabine Devieilhe – que l’on a du mal à imaginer malade trois jours avant la première (pour cette raison, la représentation pour les -28 ans a dû être annulée) – et le baryton qui avait déjà tenu le rôle à Aix dans la mise en scène de Katie Mitchell, Huw Montague Rendall est absolument extraordinaire…
Quant à la mise en scène, usant et abusant de vidéos un peu datées auxquelles ont été ajoutés les sous-titres pour que les premiers rangs ne se fassent pas mal aux cervicales, elle est très discrète. Bien loin des champs de bataille actuels, Wajdi Mouawad traite Golaud en tyran de la raison et fait l’éloge de l’amour comme force irrationnelle de création dans ses intentions. Dans une économie de moyens qui oscille entre la projection de la crique et celle du feuillage touffu de la forêt qui abrite cette tragédie, il fait entrer et sortir les personnages d’un écran de fils qui se transforment en chevelure. C’est sombre, c’est modeste, même dans les mouvements verticaux et les nombreuses projections néo art nouveau s’accompagnent de chevaux éviscérés pour incarner « une histoire d’amour éventrée ». Un symbolisme sans symboles, tout en nuances de gris , en courses poursuites attendues et en costumes délavés, qui a le premier mérite de trancher avec la mise en scène de Robert Wilson qu’on a beaucoup vue à l’Opéra de Paris, et le second mérite de laisser toute la place à la musique. C’est cela que le metteur en scène appelle « l’hypnose » et c’est plutôt agréable. Une production à voir jusqu’au 27 mars.
Pour réserver, c’est ici.
Durée 3h20 avec entracte
Visuel : © Benoîte Fanton / Opéra national de Paris