Au Théâtre de la Concorde, Anne Kessler, de la Comédie-Française, reprenait au début de ce mois de février son seul-en-scène Ex-traits de femmes. Une réunion de voix de personnages de Molière qui parlent d’elles-mêmes (ou presque) à qui sait les entendre.«»
Quand on entre dans le Studio Cardin, un mot est écrit sur le grand écran blanc : « Silence ». C’est pourtant ce dernier que toutes les voix que nous allons entendre conjurent. Apparition : sur son tabouret de diva, Anne Kessler est une longue dame blonde, vêtue d’un enchevêtrement de tissus noirs, et qui prête ses mains ou ses pieds pour incarner Arnolphe ou Argan, mais sa bouche, elle, ne livre que les mots de Louison, Agnès, Armande, Henriette, Arsinoé, Célimène, Elvire, Madame Pernelle et Dorine… Elles sont toutes si différentes et pourtant, elles forment un chœur, et même un seul Cœur. Qui bat fort, qui négocie, qui tente de garder un jardin secret ou une gouvernance sur leur vie. « Il n’y a plus d’enfant ! » dès la première scène, où Le Malade imaginaire bat et manipule la cadette de ses filles, c’est à la fois fulgurant et intolérable.
Ces femmes sont pourtant diverses : enfants ou grand-mères, savantes ou naïves, sensuelles ou en contrôle. Néanmoins, incarnées par une Anne Kessler caméléon et virevoltante, elles semblent toutes condamnées à retomber dans un rôle, même si elles négocient pour s’en échapper. Dix voix pour une seule fonction : plaire. Plaire à se sentir utiles quand ce n’est plus le cas, à en oublier ce qui et qui leur plaît, à s’en chicaner même, pour arracher au monde un peu d’attention. Un peu comme dans une tragédie, finalement : toutes semblent négocier devant le tableau blanc, où défilent des dessins naïfs, un peu de cette attention qu’elles quémandent avant d’être renvoyées à l’annihilation du gynécée. Émouvante et vibrante, Anne Kessler porte avec retenue et économie leurs cris, qui se suffisent à eux-mêmes pour passer du plaidoyer à l’évidence. Une performance puissante.
visuel : ©Yaël Hirsch