Le Quinteto Nuevo Tango rend hommage à Astor Piazzolla à la Cité de la Musique

Un hommage incandescent à Piazzolla

Dans la lignée créative d’Astor Piazzolla, qui avait en son temps bousculé les codes du tango en le détachant de sa forme populaire pour y mêler les langages du classique et du jazz, le Quinteto Nuevo Tango de Félicien Brut — créé l’année du centenaire de la naissance du maître argentin — nous a offert, en cette belle soirée de mai, une relecture incandescente de sa musique.

Entouré de quatre musiciens de haut vol — Alexis Cardenas au violon (qui remplaçait ce soir là Jordan Victoria, blessé au doigt), Thomas Enhco au piano, Thibaut Garcia à la guitare et Edouard Macarez à la contrebasse — Félicien Brut nous entraîne au coeur des faubourgs de Buenos Aires et nous plonge dans une atmosphère colorée, où les improvisations majestueuses et la rythmique syncopée nous envoûtent.

Les Quatre Saisons de Buenos Aires

Mêlant tradition et modernité, avec la liberté comme valeur suprême, le prodigieux quintet a rendu un magnifique hommage au bandéoniste argentin. En ouverture, les musiciens ont interprété Verano Porteño (L’Été) puis Otoño Porteño (L’Automne), extraits du cycle des Cuatro Estaciones Porteñas (Les Quatre Saisons de Buenos Aires). Loin de chercher à dépeindre la nature au fil des saisons, Piazzolla y évoque plutôt la vie précaire des habitants des quartiers populaires de sa ville natale dans les années 1960 et 1970. Chaque pièce reflète une ambiance, un état d’âme, une émotion. A travers cette œuvre tour à tour chaleureuse et mélancolique, c’est toute l’effervescence culturelle de Buenos Aires et la vie d’une population marquée par les contrastes sociaux qui résonnent. La musique est à la fois lyrique, percutante et explosive.

Puissance rythmique et dissonances expressives

Dans un registre plus tendu et dramatique, le quintet a ensuite abordé Muerte del Ángel (La Mort de l’Ange), œuvre emblématique composée en 1962 pour la pièce de théâtre El Tango del Ángel d’Alberto Rodríguez Muñoz. Ce titre déploie une riche palette émotionnelle et rythmique : après un allegro nerveux en guise d’introduction, le public a été immergé dans un lento plus introspectif, avant de revenir à l’allegro empreint d’une intensité dramatique saisissante. Le Quinteto Nuevo Tango conjugue attaques rythmiques puissantes et dissonances expressives. Son style percussif et énergique maintient une tension constante, révélant toute la dramaturgie propre au tango nuevo.

Mais quel panache !

Puis, porté par un rythme hypnotique et un panache stupéfiant, Escualo a entraîné l’auditoire dans un tourbillon frénétique qui n’a laissé personne indemne. Les graves du piano lancent la rythmique avec ce motif répété qui embarque accordéon, contrebasse et guitare. Les pulsations s’ancrent dans nos têtes, soutenues par une section rythmique redoutable. Le violon chante la mélodie, l’accordéon abonde et surenchérit. Les instruments se répondent dans un climat festif rugissant. Ils grondent, vrombissent et s’envolent. Le piano chauffe, s’étire et flamboie dans toute sa splendeur. Le quintet est à l’unisson et porte les notes à leur firmament jusqu’au feu d’artifice final. Tout simplement grandiose !

Alors arrive ce moment de grâce absolue : le duo formé par Thomas Enhco et Alexis Cárdenas dans une interprétation magistrale de The Kid de Didier Lockwood. Piano et violon nous proposent un dialogue poétique évocateur avec des envolées lyriques rares qui nous prennent aux tripes.

Enfin, de très belles compositions de Richard Galliano (Tango pour Claude), Chick Corea (Armando’s Rumba) ou encore Eladia Blazquez (El Corazón Al Sur) et Thomas Enhco (Vol de Nuit) viendront également ponctuer le programme, apportant leur part d’émotion et de beauté. Une soirée sous le signe de la virtuosité que nous ne sommes pas prêts d’oublier.