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The infinite Woman ou l’audace de la Fondation Carmignac

par Sabina Rotbart
28.10.2024

C’est le moment idéal pour voir à Porquerolles cette exposition sans concession. Sans la foule estivale. Jusqu’au 3 novembre.

La Fondation Carmignac présente une exposition très audacieuse sur les représentations de la féminité. Confié à la curatrice Alona Pardo, le parcours explore le devenir actuel des mythes primitifs, leur subversion et explore sans peur les interrogations contemporaines sur la prétendue essence féminine. Être sur une île, à l’écart permet peut-être un regard plus décapant.

 

Il faut crapahuter un peu pour y arriver, la Fondation se mérite et c’est tant mieux, cela prépare le regard. On se souvient qu’il s’agit d’un  corps de ferme remodelé pour créer des espaces d’exposition tout en respectant la réglementation stricte du Parc national de Port-Cros. Aussi rien ne perturbe le tendre moutonnement des pins parasols et la Fondation se découvre soudain au bout d’un chemin de terre où l’on vous tend comme un viatique une boisson préparée par une ethno-botaniste. C’est un cocktail végétal au parfum de garrigue assez dionysiaque, on pense à Vernant et on s’interroge aussi, allons-nous assister à une performance culinaire? Mais non c’est une mise en bouche..

 

A peine aperçoit-on au loin le jardin qui enserre la Fondation avec au nord un petit bâtiment aperçu dans Pierrot le fou, des vignes et des sculptures  ponctuant le parc ensauvagé du paysagiste Louis Benech qu’il est temps de plonger dans le vif du sujet.

C’est un parcours touffu, paradoxal qui va du joyeux au pervers, plus politique que les expositions passées comme on pouvait s’y attendre avec Alona Pardo spécialiste de l’intersectionnalité qui avait déjà produit à Arles une exposition sur le masculin.

 

Le cheminement toujours intrigant, d’une richesse impressionnante séduit car des brèches horizontales ouvrant sur la végétation extérieure reposent le regard qui sinon serait saturé. Et certaines salles sont inoubliables comme celle au plafond d’eau et de verre qui ressemble à une marée montante qu’on observerait d’en dessous. Celles aussi où Bruce Nauman et Barcelo ont laissé leur empreinte.

 

Une grenade en introduction. C’est une véritable histoire de l’art bousculée des représentations féminines que déploie Alona Pardo avec une amorce provocante, une Vierge à la grenade de Botticelli.  Un trésor de la Collection Carmignac plus connue d’habitude pour ses Lichtenstein que pour cette madone soumise. Le propos s’étire historiquement du XV ème jusqu’à l’actualité avec une création  réalisée in situ par l’écossaise France-Lise McGurn, une fresque calligraphique dont les couleurs pastel font écho à la Renaissance pendant que l’allure dansante des silhouettes  a la vigueur des figures antiques. Mais ce propos s’avère volontairement perturbé par une mise en question des normes établies, de l’idée de beauté, de l’idée même d’identité sexuelle, bref par une mise en question des présupposés idéologiques qui traversent la production artistique.

 

Des mythes et des monstres, au rez-de-chaussée, passionne car après cette vierge qui éloigne d’elle cette grenade, signe d’une sexualité redoutée, le visiteur croise un grand collage de Mary Ethel Edelson, pionnière américain du féminisme, fait d’une myriade de figures féminines mythologiques,  déesses ou bien actrices, qui se veut une interrogation de l’iconographie habituelle. Le textile où se trouve souvent confinée la créativité féminine est ici élevée à une dignité nouvelle avec l’œuvre de Judy Chicago (de la série Birth Project) sur l’accouchement dont la crudité est toujours refoulée, simplement évoquée sur un mode allégorique.

 

Des corsets de grossesse en cheveux synthétiques tuftés, des sorcières qui ont tout des hystériques  redoutées font découvrir l’œuvre de l’ukrainienne Anna Perach qui livrera ce week-end une performance à l’ombre de l’œuvre de la grand-mère de l’art, Louise Bourgeois. (11h30 samedi et dimanche). Ce n’est pas le cas de l’égyptienne Ghada Amer déjà bien montrée que l’on croise un peu plus loin avec une broderie destinée à décorer une tente où peut se lire habilement dissimulée, presque voilée, entre-dite, une phrase de Audre Lordre,  « transformer le silence en paroles et en actes ».

 

Plaisirs coupables au rez- de- jardin est une mise en abîme du male gaze, ce découpage objectalisant du corps féminin par le regard masculin. Ou par le regard féminin aliéné et tout aussi morcelant. Reflections on Jessica Helms, un très parlant Lichtenstein où les pointillés emblématiques de l’artistes font office  de cache-sexe évoque la censure qui s’abat de façon sans cesse plus virulente sur l’art. Si Picasso, de Kooning, Schiele sont ici inévitablement convoqués, cette section passionne par la présence d’œuvres qui font un écho terrible aux viols de Mazan comme #Mydressmychoice de Michael Armitage.  La peinture sur écorce de ficus (un matériau utilisé dans les rites funéraires) reprend la pose de l’odalisque où le nu passif  est offert, encerclé, proposé à l’offense d’une assemblée masculine menaçante. Une référence à un événement qui eut lieu à Nairobi en 2014 où une femme jugée pour tenue indécente a été déshabillée et agressée par un groupe d’hommes. Les œuvres explosives et controversées de Betty Tompkins qui endosse le regard masculin et de Lisa Yuskavage n’épargnent pas le visiteur.

 

Les Métamorphoses interroge le genre et rend hommage aux figures non binaires (Martine Gutierrez, Sin Wai Kin…) pendant que la section sur les corps (dés)obéissants mobilise par  son efficace souvent proportionnelle à une certaine économie de moyens. Avec des œuvres d’une discrétion paradoxalement mordante comme l’épingle à cheveux géante de Rose-Marie Trockel baptisée « Notre-Dame », symbole très condensé du corps  féminin tellement tenu. La frise de céramique Gardening de Paloma Proud-foot co-produite par la Fondation séduit par son vocabulaire renouvelé. Coulisses d’un défilé de mode où les visages sont interchangeables, les corps torturés  comme taillés au sécateur. Très alarmantes et émouvantes aussi les sculptures hybrides de la roumaine Andra Ursuta présentées en répons aux interventions organiques de la célèbre Orlan,  fusionnent des objets quotidiens devenus attaquants à des moulages de son propre corps. La pantoufle n’est plus du tout de vair, mais devient une prédatrice tentacule qui entrave le corps des femmes.

 

©France-Lise McGurn, 2024 – Photo : JUDDartINDEX

© Louise BourgeoisSpider (Araigneìe)Paris Museìes / Museìe d’Art moderne © Louise Bourgeois, ADAGP, Paris, 2024
France-Lise McGurnI’m at that party right now, 2024. Production pour la Fondation Carmignac dans le cadre de l’exposition

Photo : Thibaut Chapotot / Fondation Carmignac

 

©Andra Ursuţa Predators ‘R Us, 2020
Cristal de plomb
73,7 x 68,6 x 132,1 cm
© Andra Ursuţa / Photo : Sebastian Bach Courtesy de l’artiste, David Zwirner, et Ramiken, New York

©Michael Armitage #mydressmychoice , 2015
Huile sur tissu d’écorce de Lubugo
149,9 x 195,6 cm
© Michael Armitage / Photo : White Cube (George Darrell)

©Vue du ciel de la Villa Carmignac, Île de Porquerolles © Fondation Carmignac – Photo : Johan Glorennec

Pour y aller : www.billeterie.villa-carmignac.com

Tel. 04. 65.65.25.50

Train direct Paris-Hyères puis traversée de 15 minutes en bateau depuis la presqu’île de Giens (à la Tour fondue, www.tlv-tvm.com). Hyères- tourisme.com.

 

On logera sur la presqu’île par exemple au délicieux Hameau des Pesquiers. www.lespesquiers.com pour un week-end de charme.

Ne pas se laisser endormir par la beauté du lieu et en profiter pour gouter un plaisir différent, celui du restaurant hautement recommandable, le Poisson ivre, situé en plein air sous les pins (réserver 06.98.73.17.06) et au vin produit sur le domaine, La Courtade, un rosé célèbre.  La Fondation est un lieu où passer la journée entière.

Et ne pas oublier, jusqu’au 18 novembre, le Prix du photojournalisme de la Fondation Carmignac montré au Réfectoire des Cordeliers, attribué cette année à la photographe iranienne Kiana Hayeri et à la chercheuse Mélissa Cornet. No woman’s land. Entrée libre.

www.Fondationcarmignac.com