Le terme Chaosmos, inspiré de James Joyce, fusionne chaos et cosmos pour souligner leur interdépendance. C’est aussi le nom de la nouvelle exposition du Maif Social Club qui explore, d’archipel en archipel, la manière dont nous nous situons dans un monde instable.
Les œuvres, réparties en cinq archipels, tissent une expérience sensible, ouverte et sans hiérarchie. L’exposition prend la forme d’un zodiaque, avec douze œuvres faisant écho aux douze signes célestes, et invite à décloisonner nos représentations du cosmos tout en prêtant attention à notre condition terrestre.
Dans son commissariat, Jos Auzende a voulu une forme totale de liberté. Lucie Gautrain a traduit cela par un espace plus ouvert, où les œuvres dialoguent jusqu’à se juxtaposer et où le son donne à nos pas la sensation que la terre nous alerte dans un bourdonnement étrange. Sans forcément les classer, nous avançons, guidés par les îles en briques de Vincent Mauger. Partout, ces points de repère orange sont autant d’oasis faits de matériaux alvéolaires, évoquant à la fois la terre cuite et une termitière. Ce sculpteur joue sur la tension entre matériaux de construction et formes organiques, dans une exploration de notre rapport au paysage et à l’habitat. Ses œuvres, intitulées Briques, comme d’autres dans ce parcours, ont été pensées pour le lieu.
C’est aussi le cas de la merveilleuse Materia Prima de Justine Bougerol, plasticienne qui interroge le motif de la montagne et les espaces interstitiels. Elle envisage le chaos comme une matière première, transmutée par un processus d’alchimie. Ses œuvres invitent au recueillement et à une réflexion sur l’ailleurs, souvent funèbre, hanté par nos fantômes intérieurs. Il ne faut rien dire de plus, sinon vous conseiller de vous approcher très près de cette petite montagne : ce que vous voyez n’est peut-être pas la réalité. Attention, c’est très, très beau.
L’œuvre d’Arthur Hoffner est, elle aussi, fascinante. Il travaille les bulles de savon, par essence fragiles, en boucle continue, symboles de memento mori et de vanité. Elles se forment et disparaissent, posées sur une des îles de Vincent Mauger, dans un dialogue entre matériaux solides et éphémères, mais aussi dans un dialogue d’artistes qui paraît évident.
Mais toujours ce bruit, ce bourdonnement, un peu désagréable… sauf quand on s’en approche. Quand on pénètre dans l’œuvre de Félix Blume, tout change. Encore une fois, cette exposition brouille les pistes : le beau arrive parfois quand on s’y colle. Il s’agit d’une installation sonore immersive composée de 250 enceintes, évoquant 250 abeilles en bourdonnement. Une œuvre vibrante qui interroge la place du vivant et du collectif, nous rappelant à quel point ces insectes sont essentiels à notre survie.
Tout à côté, une autre bestiole vient nous alerter, mais de façon ludique cette fois, sur la nécessité d’une cohabitation entre les êtres vivants. Virginie Yassef nous présente une araignée animée inspirée des cartoons. Et, avouons-le, elle est très marrante !
Finalement, cette exposition, presque accumulatoire, nous offre une réelle sensation de grand calme. Les broderies circulaires de Tabita Rezaire, intitulées Mère Trinité, représentent des divinités liées à la Lune, la Mère et le Soleil. Avec une lecture écoféministe, elle tisse un dialogue entre puissances créatrices et interconnexion spirituelle. Le dessin est brut, les couleurs vives. Ces déesses nous font du bien.
Tout comme la grande tapisserie de cuivre de Masami, un portail jouant avec la lumière. Cette artiste japonaise, associée au land art, voit le cuivre comme un transmetteur d’énergie, un pont entre le terrestre et le cosmique. Dans le lieu, au loin, cette vague venue du ciel a des allures de laine. On a envie de la regarder encore et encore… mais c’est impossible, assis·e·s sur cette improbable chaise de Porky Hefer.
Il s’agit d’une grande œuvre en osier et sel, une chaise suspendue, étrange et aérienne. Évoquant son déménagement d’Afrique du Sud à Arles, cette chaise, conçue avec des artisans aveugles, semble prise dans le Mistral. Un objet en résistance face au vent et au déplacement.
Oui, nous y arrivons. Si le chaos est devenu calme, que devient le cosmos ? Ici, il est militant, chez Nolan Oswald Dennis, qui, dans sa Grande voûte céleste mouvante, interroge la fixité des constellations. Il propose un cosmos en invention, fondé sur des constellations issues du mouvement de libération des Noirs.
Les Kongo Astronauts nous présentent un cosmonaute hors du temps, réclamant un avenir plus respirable. Leur œuvre questionne la conquête spatiale occidentale et pose cette question essentielle : « À qui appartient l’espace ? »
Enfin, Véronique Béland joue les oracles, en interaction avec notre paume posée sur le bois et nos yeux sur une brèche d’impact de météorite.
Cette exposition, finalement bien plus douce qu’elle n’y paraît, nous invite à décloisonner nos représentations, écouter le vivant et imaginer un futur respirable. En pleine crise mondiale, en pleine inversion des valeurs, elle fait du bien. Et surtout, elle nous rappelle que garder espoir est possible.