Cannes, compétition : « The Zone of Interest », génocide derrière le mur

par Camille Aimé
le 23.05.2023

The Zone of Interest de Jonathan Glazer nous plonge dans le quotidien de la famille de celui qui dirige le camp d’Auschwitz. Glacial, monstrueux et bien parti pour la palme.

Dans la terminologie nazie, la “zone d’intérêt” désignait la partie du camp d’Auschwitz-Birkenau qui était louée à l’entreprise IG Farben. C’est, dans cette zone, hors-les-murs que se déroule l’action du film plus ou moins tiré du roman éponyme de Martin Amis (alors même que l’auteur vient de mourir).

Rudolf Höss est le commandant nazi du camp. Il vit avec sa famille dans un propret pavillon avec jardin fleuri que seul un mur sépare de l’entreprise d’extermination qui se déroule à côté. Un mur, cela coupe la vue… mais pas les sons. Des cris, le halètement d’un train, des aboiements, des coups de feu viennent perturber un tant soit peu le quotidien tranquille de la famille Höss.

Hedwig, la femme (remarquable Sandra Hüller) n’a pas les désagréments liés au massacre. On peut même dire qu’elle bénéficie des avantages, récupérant ici les habits volés aux prisonniers, utilisant là certains d’entre eux comme domestiques qu’elle maltraite si nécessaire. Le mari (Christian Friedel, glaçant !), lui, est contrarié lorsqu’on le promeut tout en lui retirant la gestion du camp malgré ses excellents résultats en termes d’élimination de personnes (personnes qui ne seront jamais qualifiées autrement que par chiffres, quotas, contenus de wagons à éliminer).
Ainsi, alors que « tout » se déroule hors-champ, sont montrés les déambulations, les gestes quotidiens, les dialogues anodins, les échanges entre dignitaires nazis. L’entreprise se rapproche d’une télé-réalité où l’on parle foot et du spa à faire pendant les prochaines vacances, une télé-réalité qui frôlerait l’ennui si l’on ne savait ce qui se passe derrière le mur, si l’on n’avait pas les cris pour nous le rappeler.

« Lui vomit lorsqu’il a bu trop d’alcool, pas lorsqu’il tue de sang froid »

Le monde de ces humains inhumains est renversé. Lui vomit lorsqu’il a bu trop d’alcool, pas lorsqu’il tue de sang froid. Elle, est prête à s’opposer aux supérieurs de son mari parce que l’on contrarie son confort de vivre.
Par la neutralité de la description, on pense aux Bienveillantes de Jonathan Littell ; par la froideur clinique, à Michael Haneke et son Ruban blanc. Cela semble également être l’envers du décor du Fils de Saul de László Nemes qui nous plongeait presque dans les fours crématoires sans jamais montrer. Et s’il est impossible de ne pas penser à Shoah de Claude Lanzmann (qui vient d’être inscrit au registre de la Mémoire du monde de l’Unesco), c’est bien pour rappeler qu’il y a tellement de langage pour regarder l’abomination.

Le désespoir est immense, à l’image de ces écrans noirs qui ouvrent et clôturent le film ; il n’est même pas rompu par les petits fantômes qui tentent de donner des fruits aux prisonniers « d’à côté ». Höss lit Hansel et Gretel à ses enfants mais la monstruosité du « conte » est ici bien réelle. C’est monstrueux et brillant et bien parti pour le palmarès.

The zone of interest, de Jonathan Glazer, avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Année de production, États-Unis, Royaume-Uni, Pologne 2022, 106 minutes. En compétition au 76e Festival de Cannes.

visuels (c) The zone of Interest Courtesy of A24 / MICA LEVI
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