L’édito de la semaine : La grande famille du cinéma

par La redaction
29.02.2024

Quatre ans après le « On se lève et on se casse » d’Adèle Haenel qui brisait le silence de « la grande famille du cinéma français », la 49ᵉ cérémonie des César, plus de six ans après #metoo et la prise de conscience de l’affaire Weinstein, a réuni autour de Valérie Lemercier le 7e art.

Et cela semblait à nouveau possible, voire réconfortant, autour du film de Justine Triet et du discours de Judith Godrèche, réalisatrice de Icon of French Cinéma (https://cult.news/actualites/icon-of-french-cinema-le-ridicule-necessaire-de-judith-godeche/), qui a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour « viol sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité ». La sortie de CE2 de Jacques Doillon prévue pour le 27 mars a été repoussée ; le premier film de la réalisatrice Veerle Baetens, Débâcle, qui suit le retour d’une victime de violences sexuelles dans l’enfance sort en salles ce mercredi avec un dispositif de « ciné-safe » où les spectateurs pourront en parler après la projection. Mais malgré le consensus, un froid glacial souffle encore sur le dîner de famille. Judith Godrèche l’explique très bien dans Icon of French Cinema, elle a parlé pour protéger sa fille. Mais témoigner et même agir protège-t-il vraiment ? « Mon passé ne passe pas », dit -elle dans son discours si émouvant de survivante. Comme en écho, les mots de Christine Angot dans Le Voyage à l’Est mis en scène par Stanislas Nordey en ce moment aux Amandiers lui répondent : « J’étais bien. Je respirais. Mais j’étais où ? J’étais qui ? J’étais dans quelle vie ? Je respirais. J’étais libre. J’étais bien. Mais il n’y avait rien d’essentiel. Je ne faisais rien d’essentiel ».

Une fois la parole enfin entendue, quelle est la réparation pour la victime ? Quelle possibilité pour le foyer de se reconstituer, et comment faire pour que cela ne se reproduise pas ? Une issue, et un idéal, serait de sortir de la famille, d’en faire le deuil pour appeler à un collectif plus général pour ne plus « accepter que cet art que nous aimons tant, cet art qui nous lie soit utilisé comme une couverture pour un trafic illicite de jeunes filles », selon les mots de Godrèche. À l’observateur et l’observatrice soit-disant « neutre » de prendre conscience et d’agir en conséquence. A moins que seule la solitude permette une parole « safe », comme l’exprime Neige Sinno dans Triste Tigre (https://cult.news/livres/triste-tigre-ecrire-lindicible-par-neige-sinno/). Le prix Femina 2023 exprime combien la solitude de la page à remplir est peut-être le seul « espace de sécurité, un espace où il n’y a pas d’ennemis. Je n’ai pas à convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit. À quoi bon alors tout cela si nous sommes tous d’accord sur tout depuis le début ? ».

Le temps de la justice est long. Et il n’est pas même sûr que quand le juge aura tranché, la grande famille puisse à nouveau vivre et créer ensemble.

Yaël et Amélie

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