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L’écho du monde : Claire Dupont au théâtre de la Bastille

par Amélie Blaustein-Niddam
23.10.2023

Claire Dupont est la nouvelle directrice du théâtre de la Bastille. Rencontre avec une militante pour qui le spectacle vivant est un écho du monde actif.

Votre premier acte en tant que directrice du théâtre de la Bastille a été de tout repeindre en bleu. Que signifie cette couleur pour vous ?

 

Le théâtre de la Bastille était très associé au rouge. C’est une couleur forte, impériale. Je trouvais que le lieu manquait de lumière. Le bleu s’est imposé à moi naturellement. C’est une couleur forte dans ce qu’elle raconte aussi. C’est la Méditerranée. C’est une couleur qui m’appelle. Il faut savoir que tous les choix que je fais sont collégiaux. J’ai donc proposé ce changement, et l’équipe a été d’accord. Si elle avait refusé, je ne l’aurais pas fait. Ma volonté est d’être dans une transition douce, par exemple, je n’ai pas changé le logo du théâtre, qui correspond parfaitement au lieu.

Le bleu n’est pas la seule nouveauté. Vous avez mis en place un parlement artistique. Pouvez-vous nous raconter ?

Disons que je ne peux pas me départir des artistes. Alors, prendre une direction sans artistes me paraissait un peu lunaire, surtout dans un théâtre. J’ai pu constater, dans mes précédentes expériences, que poser des rendez-vous avec des artistes au fil des années permet de les voir grandir. Ce parlement, c’est une façon d’inscrire une permanence des artistes choisis dans cette maison-là. Le théâtre de la Bastille n’est pas un CDN, ni une scène nationale, et être à Paris soulève de nombreux enjeux. Il y a un nombre fou de spectacles qui se jouent en même temps. La course à la diffusion est permanente. Le théâtre de la Bastille s’inscrit dans la dynamique des séries longues, mais cela ne suffit pas à avoir une identité ferme.

Je comprends la nécessité de cette recherche d’identité. Pouvez-vous détailler le contenu de ce parlement ?

Trois artistes incarnent ce parlement : l’auteur et metteur en scène Gurshad Shaheman, la chorégraphe Betty Tchomanga et un duo de performeurs catalans, Agnès Mateus et Quim Tarrida. Cela prend la forme d’ateliers, de tables rondes, de workshops sur la programmation. Ces artistes sont associés à la Bastille pendant trois ans. Ils et elles dessinent les grandes lignes de cette maison, c’est-à-dire le théâtre, la danse et l’international. Cette fidélité artistique était très inscrite dans cette maison, il y avait une permanence artistique qui n’était pas dite, mais il y avait des rendez-vous.

Est-ce que ces artistes interviennent dans la programmation ?

Ce parlement est un espace démocratique, les artistes sont vraiment associés à la réflexion globale, au même titre que l’équipe. Nous dessinons ensemble des saisons en écho au monde. Je les ai choisis aussi parce que chacun d’entre eux a une vision particulière, très forte et très engagée des sociétés dans lesquelles on vit, du monde tel qu’il est aujourd’hui. Je souhaitais revendiquer un lieu qui est en dialogue du point de vue artistique et sociétal autour des questions qui chamboulent la société.

Cet écho du monde est central dans votre vision du théâtre ?

Oui, les artistes traversent le monde à l’instant t et je trouvais que leurs œuvres, leurs démarches artistiques permettaient d’ouvrir un autre espace de rencontre. D’ailleurs, je ne maîtrise rien, et c’est tant mieux, de ce qui naîtra de ces rencontres. Ce sont des voix qui m’échappent. C’est exactement cela qui me plaît dans la réunion d’artistes qui sont très différents et qui ne se connaissent pas. Et puis, à tour de rôle, dessiner chaque saison avec nous en définissant, comme vous le pointez, un écho du monde.

Avez-vous un fil de programmation ?

Leur présence n’est pas une thématique, c’est plutôt un objet de réflexion qu’on va tirer ensemble. C’est un fil qui va irriguer la saison mais sans qu’elle soit pensée à l’avance. Je ne souhaite pas proposer une saison thématique, mais plutôt différentes présences qui seront des conducteurs sur certains spectacles, notamment sur les débats d’idées aussi, avec le public.

Justement, le public semble être au centre de ce théâtre aux allures de MJC. Il y a un café, des cours de danse, des ateliers… toute une vie en dehors de l’espace de représentation théâtrale.

Le public du théâtre de la Bastille est présent et fidèle. Il y a une permanence du public avec des abonnés qui sont là depuis très longtemps. Des générations de publics ont grandi avec ce théâtre, comme il y a des générations d’artistes qui ont grandi aussi avec ce théâtre. Je trouve ça très beau. Je voulais que cette fidélité ressorte. Cela se manifeste à travers le développement de projets participatifs avec le XIᵉ arrondissement, afin de vraiment ancrer, de rapprocher le théâtre de son implantation d’origine avec son voisinage, avec ses habitants, ses habitantes. J’aime cette idée de décentralisation à l’échelle de l’arrondissement.

Concrètement, cela veut dire jouer hors les murs ?

Oui, et je ne pensais pas pouvoir le lancer si vite. J’ai eu un accueil assez formidable de l’équipe qui m’a vraiment emboîté le pas sur l’ensemble du projet. Et donc, on a réussi par exemple dès cette saison à faire des choses hors les murs, notamment autour de la question la jeunesse. Ce sujet s’aborde de manière globale, dans sa pensée, dans sa réflexion d’inscrire le théâtre dans la société. En bref, comment éviter d’être dans un rapport ascendant dans nos salles ? Pour vous donner un exemple concret, nous avons monté un partenariat avec le lycée Voltaire. Nous y jouons des pièces, car il y a une belle salle de spectacle à l’intérieur. Des séances ont lieu pour les élèves en après-midi et ensuite, le soir, le lycée se transforme et devient uniquement un théâtre pour tout le monde. Je ne souhaite pas différencier le hors les murs de la programmation. Pour moi, tout relève de la programmation. Ensuite, évidemment, les formes peuvent être plus légères quand le plateau est mobile. Par exemple, je vais programmer Rembobiner, le premier duo signé par le Collectif Marthe. Je suis en cours de discussion avec différents lieux, mais ailleurs. On cherche aussi des lieux en corrélation avec le sujet et également avec l’identité des équipes artistiques. L’idée, c’est de travailler l’écho à plein d’endroits. La question de la faisabilité est au centre. Il faut s’adapter à des endroits qui sont particuliers, et qui parfois ont tellement de sens que les artistes en ont très envie. Donc, ça vaut le coup aussi. Cette saison, vous pourrez voir Naissance(s) d’Agathe Charnet autour de l’histoire du féminisme, très important dans ce quartier. Le jouer devant les lycéens va permettre de leur montrer le contexte de la pensée féministe. De sortir de la réaction immédiate à un sujet.

Revenons dans les salles de spectacles du théâtre, vous parlez de spectacle de façon globale car vous ne choisissez pas entre la danse, la performance et le théâtre. Commment arrivez-vous à décloisonner les catégories ? Est-ce un combat ?

Non, je ne crois pas que ce soit un combat. Je ne veux pas que ça en soit un. Parce que c’est toujours pareil, je pense qu’un théâtre ne peut être qu’en réponse à son temps et au parcours des artistes, et je crois que les artistes, ils en sont là, ils ne se posent pas la question de la catégorie de leur art. Ils font des spectacles, nourris des spectacles qu’ils ont vus, des maîtres qui les ont précédés. Ce dialogue entre les types de spectacle est au cœur des conversations que nous avons avec l’équipe, car, oui, il y a un virage qui est en train de s’opérer, mais évidemment comme à chaque fois qu’on change de direction, de projet.

Pouvez-vous décrire ce virage ?

C’est un virage qui est accompagné aussi par une nouvelle génération d’artistes. Pendant très longtemps, le théâtre a été marqué par beaucoup de réécritures de textes classiques. C’est comme cela que le public parisien a rencontré Tiago Rodrigues ou Pauline Bayle et leurs versions brillantes de Madame Bovary pour l’un et de l’Odyssée pour l’autre. Ces artistes ont démonté les textes pour les faire basculer dans le théâtre contemporain. Mais aujourd’hui, les centres d’inspiration sont très différents. L’omniprésence du théâtre documentaire en est un exemple flagrant. Il y a de moins en moins d’écriture de plateau aussi. Tout cela pour vous expliquer que de nouvelles esthétiques sont en train de naître en ce moment avec les nouvelles générations. Elles sont plus engagées. J’ai pensé ce projet pour aider ces générations qui s’emparent du monde. S’emparer du monde ne passe plus par les classiques. Il y a eu besoin de ça, de parler du monde au travers des grands textes. Aujourd’hui, parler du monde passe par l’expérience personnelle.

Ma dernière question résonne avec ce que vous venez de dire : comment articulez-vous une programmation radicale (Sarah Vahnee) avec des œuvres de répertoire (La loi du marcheur) ?

Je trouve fondamental de ne jamais faire table rase du passé. Cela n’aurait aucun sens, sans compter la violence faite aux artistes de les rayer d’un coup d’une programmation. La programmation, vous l’avez compris, vient de l’équipe. Nous travaillons toutes et tous ensemble. En arrivant, j’avais envie de conserver des rendez-vous attendus avec des artistes dont les noms sont associés à celui du théâtre de la Bastille. Nicolas Bouchaud en est l’exemple parfait. Je trouve cela formidable justement qu’il fasse irruption dans cette programmation de pur spectacle vivant. La notion de répertoire m’intéresse aussi, elle charrie des questions passionnantes : est-ce que les spectacles évoluent avec le temps? Comment est-ce qu’on les retrouve aussi ? Comment transmettre la joie qui a été celle des premiers spectacteurs, des premières spectatrices de La Loi du marcheur ?