Au Festival d’Avignon, la jeune metteuse en scène Pauline Bayle peine à rendre audible toute la poésie sensible et sensualiste de la romancière Virginia Woolf à qui elle consacre le spectacle Écrire sa vie.
Faire une création à partir de Virginia Woolf est un pari risqué mais Pauline Bayle aime relever le défi de porter à la scène des œuvres littéraires denses et conséquentes tels que les récits fondateurs d’Homère avec lesquels elle s’est fait connaître du public ou encore les Illusions perdues de Balzac qui lui ont permis de confirmer son talent. Contrairement à ces précédents opus, ce n’est pas précisément un texte de Woolf qu’elle adapte au théâtre mais le fruit d’une plongée profonde dans toute l’œuvre et la vie de l’écrivaine d’où elle ressort force matière extraite de romans, nouvelles, et notes de journal.
La trame narrative du spectacle emprunte largement à celle du livre Les Vagues paru en 1931. Sur scène, six personnages forment un groupe d’amis que l’on suit de l’aube (l’enfance qu’ils revisitent à l’occasion de jeux facétieux et autres pas de danse hippie qui donnent un bel effet de choralité) au crépuscule de la vie (la mort rôde et s’abat sur le plateau soudainement obscurci au son d’une sirène d’alarme). Leurs prénoms ont changé mais à travers les mots employés et les traits particuliers de leur personnalité, on peut reconnaître une infime part de Bernard, Louis, Neville, Jinny, Susan et Rhoda, les héros du roman d’origine en proie aux doutes, aux angoisses de leurs pensées intimes et vagabondes exprimées sous la forme de flux de conscience. Et puis, il y a aussi un éternel absent, qui dans le livre est Perceval, tant envié, désiré, aimé, mais qui ici s’appelle Jacob. Ses amis lui ont concocté une petite fête avec banquet garni de fleurs et de fruits, ont préparé une petite chanson, à partir de Hey Jude des Beatles. Le public est convié à participer aux festivités selon qu’il choisit de se placer sur la scène ou dans les gradins habituels puisque le Cloître des Carmes où se donnent les représentations a été transformé en espace bifrontal. Ce parti pris favorise certes une proximité avec les acteurs mais réduit le lieu déjà très encombré par d’énormes ballons rouges déposés sur un aride lit de graviers qui évince la nature pourtant surabondante dans l’œuvre de Woolf.
Cette réserve formelle n’est pas le problème majeur du spectacle proposé. Pauline Bayle manque surtout de trouver le ton juste dans son rapport au texte. Ses acteurs dont les voix et les corps sont peu modulés ; soit trop forcés soit dénervés, ne parviennent pas vraiment à s’emparer de la matière délicate et frémissante de Woolf qui sonne hélas souvent faux. Ils ne délivrent pas plus son esprit libre et brûlant. La découverte de l’amour, du désir naissant, irrépressible, l’ouverture à l’autre, au monde, l’envie de découverte, le besoin d’ailleurs, le goût du risque, sont pourtant autant d’éléments magnifiquement exaltés par Woolf mais, sur scène, cet élan vital s’éteint trop vite pour vraiment emporter.
(c) Christophe Raynaud de Lage