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Tiago Rodrigues : « Le droit à la fête est politique »

par Amélie Blaustein Niddam
le 04.08.2023

Le 25 juillet dernier, les dernières trompettes ont retenti sur la dernière cour d’honneur du Festival d’Avignon. Trois jours plus tard, nous avons rencontré Tiago Rodrigues pour revenir sur sa première édition, merveilleusement complexe et joyeuse.

Vous avez clos cette belle 77ᵉ édition avec By Heart, dans la Cour d’honneur, le 25 juillet. Dans le sonnet 30 de Shakespeare que vous nous faites apprendre, il y a ce verset : « Moi qui pleure si peu, je pleure alors. » Est-ce que vous cherchez les larmes ? Quel rapport avez-vous avec elles ?

J’entretiens un rapport fort avec l’émotion. Je trouve que le théâtre, la danse, la performance, dans leurs meilleurs moments, arrivent à mélanger une émotion avec la complexité de la pensée. Et je crois énormément en cette alliance. Plus encore, je pense qu’il n’y a aucune incompatibilité, pour une proposition, entre le fait qu’elle nous pose des défis intellectuels et le fait qu’elle puisse nous toucher au point de nous faire pleurer. Pour répondre à votre question d’un point de vue plus personnel, je vous avouerai que j’ai moi aussi souvent pleuré pendant le Festival. En raison des pièces et aussi, parfois, parce que j’étais ému d’avoir contribué à permettre à ces spectacles d’exister. Le partage entre public et artistes m’a fait pleurer, par exemple, à la fin de Groove. Cela m’est arrivé fréquemment. De temps en temps, l’émotion m’a saisi en dehors des pièces. Lors de rencontres, lors de fêtes… Le fait de voir des personnes venues de toutes parts se rassembler autour de l’art me touche infiniment. J’aime ce mélange entre pensée artistique, pensée sur le monde et émotion.

Vous avez remis la fête au centre du Festival. Il y a eu de vraies soirées, et la clôture était aussi une fête. Vous assumez l’idée que la fête est politique. Pouvez-vous me parler de cela ?

Le droit à la fête est politique. Surtout quand on l’applique dans un contexte de partage artistique. Nous vivons dans une société où nous sommes obligés de mener des combats pour défendre des principes et des valeurs censés être établis, inscrits dans les textes institutionnels. Le service public doit se battre pour ce droit à la fête. Et le Festival d’Avignon – même si c’est une association – a une mission de service public, c’est la société civile qui s’organise en groupe de personnes. Historiquement, depuis 1947, cette association se bat pour une idée de service public. Et ce n’est pas seulement à l’État et aux collectivités de le mettre en place. Être financé, par exemple, par l’État et les collectivités nous oblige. Nous faisons un travail que l’État et les collectivités ne peuvent pas faire. Festival, cela veut dire « fête », « estivale », nous sommes donc les organisateurs d’une fête. Mais quelle fête ?
Une fête qui invite les artistes en premier. Qui place les artistes, la création artistique, la pluralité artistique et la liberté en premier. Une fête qui invite les spectateurs avec cette dimension de service public. Cela veut dire qu’elle s’adresse au plus grand nombre, avec l’accès le plus démocratique possible, le public le plus divers possible, qui vient voir une création présentée et invitée aussi avec un sens de service public. De façon directe, cela veut dire que le Festival d’Avignon présente un état de la création que les règles du marché n’auraient pas permis d’exister.

Pouvez-vous insister là-dessus ? De quel état de la création parlez-vous ?

Déjà, je récuse l’accusation d’élitisme, qui témoigne d’une injustice profonde quand on parle du Festival, quelle que soit son époque. Quand on propose une grande pluralité d’esthétiques, où il y a aussi de l’inattendu, de la recherche, de l’expérimental, on propose une idée de service public au niveau de la programmation.
Nous accompagnons les artistes de l’idée à la création car nous pensons qu’il est impératif de partager leurs œuvres avec du public.
Si nous ne le faisons pas, ils auront beaucoup de mal à être découverts démocratiquement. Ils vont continuer à faire leur travail, peut-être, mais dans la précarité. Je n’accepte pas de vivre dans une société où Van Gogh n’arrive pas à vendre ses tableaux. Et c’est à ça que sert la démocratie, le service public de la culture. À ce que Van Gogh puisse peindre, être vu et acheté. On ne doit pas attendre que les génies soient découverts par hasard, nous ne pouvons pas organiser la société autour de l’extraordinaire.
L’autre combat est bien sûr d’amener le plus grand nombre et le public le plus divers jusqu’à ces œuvres. Et ça, c’est justement l’organisation de cette fête dont nous parlions. Une fête pour la liberté artistique et pour l’accès démocratique. Le traduire en actes dans notre société aujourd’hui, c’est aussi défendre une idée de démocratie ou la fête est le lieu du dissensus. Un lieu où le débat existe, compatible avec l’idée de découverte artistique, de défis intellectuels, du plaisir de l’art et aussi de l’engagement politique. La fête est une mesure compensatoire. On fait la fête ensemble et toutes les hiérarchies disparaissent.

Sur le fond, votre programmation a proposé une multitude de formes de théâtre documenté et documentaire. Les demandeurs sociaux dans Welfare, les réfugiés dans Dispak Dispac’h, les humanitaires dans Dans la mesure de l’impossible, et j’en passe. Je voulais savoir si cela avait été une volonté de montrer du théâtre documentaire dans ces esthétiques différentes ?

Toutes nos réflexions commencent à se développer dans le dialogue avec les artistes. Une programmation ne sert pas à prouver des idées préconçues. Je travaille de façon collégiale avec Géraldine Chaillou et Magda Bizarro, elles font émerger la majorité des propositions de programmations. Ensuite, on essaie de comprendre ce que l’on peut faire de ces propositions pour les mettre au service du Festival. On se demande toujours si ce sont des œuvres pertinentes. Nous sommes à l’écoute d’un grand nombre d’artistes. Mais dans un geste de programmation, nous devons avoir à l’œil ce que le Festival d’Avignon peut proposer sur la planète des arts vivants comme lieu de recherche et de questionnement. C’est à cet endroit que le ou plutôt les théâtres des réels sont apparus, de manière claire.
Souvent, le théâtre documentaire semble éloigné d’une esthétique artistique. Le rapport explicite au réel et au document n’est pas au premier abord une démarche artistique. Dans cette édition du Festival, nous avons vu que ces théâtres des réels se composent d’expériences esthétiques très diverses et très fortes. Il y a aujourd’hui une évolution vers la pluralité dans le théâtre documentaire qui lui permet de se composer de plusieurs formes de théâtre. Nous avons eu la volonté de permettre au public de faire une expérience, de passer de Michikazu Matsune à Milo Rau. On voit ainsi des démarches documentaires et des esthétiques et des atmosphères presque opposées, même si les larmes sont là en commun, toujours !

Milo Rau-Antigone in theAmazon ©Christophe Raynaud de Lage

En conférence de clôture, vous avez dit, et selon moi c’est très nouveau, que vous souhaitiez « faire répertoire avec du réel ». Alors comment faire répertoire de quelque chose qui est en train de naître et qui n’est pas du texte ?

Quand on m’apostrophe en disant : « Où sont les textes du répertoire ? », je réponds : « Mais qu’est-ce qu’un répertoire en 2023 ? » Il y a du répertoire chez Shakespeare, avec Le Songe d’une nuit d’été, on le savait déjà. Et Gwenaël Morin nous a surpris avec une lecture inattendue de ce répertoire.de, avec un documentaire tourné il y a 50 ans, a fait du répertoire chez Julie Deliquet. Jérôme Bosch a fait répertoire chez Philippe Quesne. La vie et l’écriture chorégraphique de Martine Pisani ont fait répertoire chez Michikazu Matsune. Un texte d’accusation contre l’Union européenne, au tribunal Européen, a fait répertoire chez Patricia Alliot… Il faut sortir du débat stérile, très présent à Avignon il y a vingt ans, sur l’opposition entre le théâtre de texte et le théâtre d’image. Nous sommes dans un regard tourné vers l’histoire de l’art, notamment comme source multiple de répertoires pour les arts vivants. Je préfère regarder le spectacle vivant comme une éponge qui absorbe, en étant réel, l’intelligence artificielle, la télé et le cinéma. Le spectacle vivant digère toutes formes de répertoire, il évolue comme le ferait un animal qui doit changer d’alimentation. Il s’adapte au monde qui l’entoure. Je pense que les arts vivants ont cette essence, au sens essentiel, mais aussi au sens de carburant liée à la rencontre avec le public. Le public, comme les artistes, vivent dans le même monde. Je suis un amoureux profond des livres et des bibliothèques, je le dis en toute liberté : le répertoire n’est plus que ça. Le Festival d’Avignon a affirmé que Frederick Wiseman était une espèce de Cervantès. Et Jérôme Bosch une espèce de Dante, avec la même dignité de répertoire que peut avoir Shakespeare.

Mais en faisant cela, vous posez un geste politique. Selon moi, cette édition est la plus « activiste ». Je pense à By Heart ou Dispak Dispac’h, qui donnent aux spectateurs et aux spectatrices des solutions pour agir. Est-ce un mot que vous acceptez : activiste ?

Je ne souhaite pas encombrer l’édition de cette année avec le ressenti d’une des nouveautés de ce Festival. Je n’ai pas envie de le réduire uniquement à l’un de ses ingrédients. Bien sûr, on peut citer Antigone in the Amazon de Milo Rau qui offre une dimension militante qui peut marquer les esprits. Mais n’oublions pas que l’une des grandes protagonistes de ce Festival était Anne Teresa de Keersmaeker avec deux spectacles, après dix ans d’absence et quarante ans après sa première pièce à Avignon. Mathilde Monnier également, avec une pièce vraiment très militante qui elle aussi, comme vous le dites, donne des solutions.
Mais je dois rappeler que pour chaque œuvre, l’artistique a la primeur. C’est une des marques surtout des nouvelles générations d’artistes qui interrogent la limite entre activisme et art, « l’artivisme », c’est un mot qui existe… « L’artivisme », c’est quelque chose qui fait partie des recherches de nos jours. Et quand on voit par exemple le spectacle de Carolina Bianchi, qui rappelle les violences faites aux femmes dans l’histoire de l’art pour nous « cadrer » dans un espace artistique puis, ensuite, nous emmener à un niveau explicite et en même temps poétique, c’est peut-être une réponse à cette question.

Vous percevez le Festival comme un espace politique ?

Le Festival d’Avignon a un esprit très politique depuis toujours. C’est un de ces festivals où la dimension politique sera toujours présente. Le public produit des débats, même si la programmation ne s’engage pas avec cette dimension politique. C’est aussi la visibilité et l’influence systémique de ce festival, pas seulement en France, mais en Europe et dans le monde qui fait qu’aujourd’hui, des sujets soulevés au Festival d’Avignon font débat. Jean Vilar disait : « L’artiste s’inscrit dans la société. » J’essaie simplement d’être à la hauteur, je n’essaie pas d’influencer le Festival d’Avignon vers plus de militantisme. C’est dans la nature du Festival.

Vous avez également amené un acte fort en alliant répertoire et spectacle vivant, ce qui est radicalement neuf. Vous avez mis au cœur du programme une archive, en l’occurrence En Atendant d’Anne Teresa de Keersmaeker, une création qui date de 2010. Jusqu’où souhaitez-vous pousser cette idée ?

La programmation, comme je l’entends, est à l’écoute des artistes, et se pose des défis. Par exemple, en annonçant que la langue invitée en 2024 sera l’espagnol, cela va nous obliger à voyager en Espagne, en Amérique du Sud et à chercher des artistes. Nous savons qu’il y a encore des générations d’artistes à découvrir dans ces pays. Qu’il y a une richesse, qu’il y a des esthétiques vraiment singulières à partager. L’invitation faite à Anne Teresa de Keersmaeker avec En atendant est un très bon exemple de cette écoute et de cette recherche. On voulait présenter sa dernière création, Exit Above, créée en 2023 et qui, au passage, a tout l’air d’avoir été écrite par une très jeune chorégraphe. Cette année, c’était l’anniversaire des 40 ans de sa première fois à Avignon. L’idée est venue de présenter en contrepoint En atendant. Cela permet de raconter à la fois le parcours de cette artiste et aussi l’histoire d’Avignon. Nous rendons disponible une œuvre de répertoire aux nouvelles générations. Le Festival est chargé de sa mémoire. Le public convoque sans cesse des œuvres : Inferno de Castellucci, Le Mahabharata de Peter Brook, Le Soulier de satin de Vitez… Pouvoir raconter à nouveau ces histoires fondatrices du Festival, c’est faire répertoire. À la suite de la discussion avec Anne Teresa de Keersmaeker, l’idée de pérenniser cette idée de présenter une archive en lien avec une création chaque année est venue. Cela met en miroir le patrimoine d’hier et celui de demain.

Je voulais revenir sur « l’affaire Rebecca Chaillon ». Pendant ce spectacle qui déconstruit les préjugés racistes, des performeuses ont été agressées physiquement et ont reçu des attaques racistes. Comment répondre ? Que peut faire le Festival pour lutter contre le racisme ?

Le Festival a immédiatement exprimé publiquement son soutien. Notre solidarité était déjà évidente car on présente la pièce et on a continué à la présenter jusqu’à la dernière représentation. Mais face à des violences verbales et physiques qui ont ciblé les artistes de l’équipe de Rebecca Chaillon, nous avons dû affirmer encore plus notre fierté de présenter ce spectacle qui est entièrement légitime au Festival d’Avignon au niveau artistique et politique. À la suite de certaines réactions abjectes, nous avons mis en place un protocole de sécurité, notamment avec un agent de sécurité dans la salle, ce qui n’est pas habituel au Festival d’Avignon. Et dans ce cas-là, au-delà de notre expression de solidarité, on a travaillé avec la compagnie, mais pas seulement, on a également instauré un dialogue étroit avec la préfecture et les forces de l’ordre pour empêcher au maximum que ces épisodes ne se reproduisent. Il y a une limite à ce qu’on peut faire. Tous les moments d’agressions verbales où physiques ne peuvent pas être complètement anticipés, mais ils peuvent être contrôlés. Et c’est ce qui s’est passé. Nous y sommes arrivés la plupart du temps quand on était présent – car dans les rues, c’était impossible –, nous sommes arrivés à empêcher ou à interrompre des agressions qui se mettaient en place, je pense que, comme nous l’avons dit dans notre communiqué, ces agressions sont inacceptables en démocratie, au Festival et partout ailleurs. Je pense qu’elles sont une attaque à la liberté artistique. C’est absolument inacceptable que dans un contexte artistique, des artistes soient menacées à cause des idées qu’elles portent et des images qu’elles proposent. Il faut rappeler que ces spectateurs ne sont pas du tout représentatifs du public du Festival d’Avignon. Le soutien a été massif : de la part du public, en salle, dans les rues, au niveau local comme international. Ces événements ont pris une ampleur sur les réseaux sociaux et mettent en lumière un discours ignorant du spectacle mais aussi manipulateur, ce qui constitue une vraie attaque organisée, même avec et par des élus d’extrême droite qui se battent contre la liberté artistique. Le Festival d’Avignon se battra pour la liberté artistique en défense de Rébecca Chaillon. Défendre Rebecca Chaillon, c’est défendre la liberté artistique. Partout et tout le temps. C’est l’une des missions du Festival, et je serai à la hauteur.

Finissons sur une idée que vous défendez en permanence : la complexité joyeuse. Pouvez-vous nous dire si vous pensez avoir réussi à allier les deux ?

Absolument. Je pense que c’était un Festival qui a eu la capacité de partager avec complexité et émotion des propositions esthétiques très diverses, de grande qualité. Nous avons proposé des visions du monde très variées et engageantes qui nous interrogent sur la façon de vivre ensemble dans un contexte de fête qui n’est pas aveugle. Face aux grands phénomènes de notre temps, nous avons répondu par une fête, nous avons fait la fête, en pleurant, en débattant. C’est cela, cette complexité joyeuse, et c’est ça que je veux proposer au public et aux artistes dans 338 jours, quand le Festival 2024 commencera.
Entretien réalisé le vendredi 28 juillet, à Avignon.

Visuels : ©Christophe Raynaud de Lage

1 : Milo Rau-Antigone in the Amazon

2 : Philippe Quesne : Le jardin des délices

3 : Carolina Bianchi :  A Noiva e o Boa Noite Cinderela, Capítulo 1 da Trilogia Cadela Força

4 : Anne Teresa de Keersmaeker : En atendant

5 : Rebecca Challion : Carte noire nommée désir

Pour voir et revoir les spectacles de la 77ᵉ édition du Festival d’Avignon, c’est ici.