Dans sa première (et trèèèès longue) déclaration devant le Congrès américain, lors d’un mandat où il a réussi le pari de signer 100 décrets en 43 jours, il a affirmé : « 8 millions de dollars pour rendre les souris transgenres – c’est réel. » Il attribuait ainsi cette dépense à la politique « woke » de l’administration Biden. Il fallait bien sûr comprendre « souris transgéniques », en référence à la recherche scientifique et médicale.
Le Saturday Night Live suivant n’a pas manqué de rebondir sur cette déclaration et de moquer ces prétendues « souris transgenres ». Mais l’heure est grave. Nous sommes dans une époque de post-vérité, mais aussi dans une époque où le golfe du Mexique est « renommé » golfe d’Amérique, où les pronoms « them » et « they » sont supprimés des écoles, où l’on met sur le même plan le prix des œufs et la possession de l’Alaska et du Groenland, et où l’on parvient à obtenir des votes en faisant littéralement croire aux électeurs que les Haïtiens de l’Ohio volent les chiens et les chats pour les manger.
Alors, forcément, on pense à la fake news antisémite classique du vol d’enfants chrétiens par des juifs pour pétrir de leur sang les matzot de Pessa’h, mythe que reprend très littéralement Amos Gitaï dans son Golem sur la scène du Théâtre national de la Colline. En atteignant aussi facilement le point de Godwin, on pense aussi à Hannah Arendt, qui expliquait dans Le Système totalitaire comment une fois instaurée l’idée que les juifs étaient de la vermine, il devenait possible de les gazer comme de la vermine. Si les philosophes comme Gloria Origgi parviennent à nous éclairer sur la manière dont se construit la vérité, pris en étau dans une caverne de Platon postmoderne, nous avons du mal à demêler le vrai du faux dans d’autres essais. Et le roman lui-même joue plus que jamais avec ce que Roland Barthes appelait « l’effet de réel », les témoignages et les enquêtes familiales prenant peut-être encore plus de place que d’habitude chez nos libraires, avec des figures de proue aussi cruciales que Vanessa Springora, Lola Lafon ou Neige Sinno. Alors que son Démocrate revient sur la scène du Théâtre de la Concorde à partir du 6 avril, c’est Julie Timmerman qui résume peut-être le mieux pour Cult.news cette nouvelle place de la vérité au coeur de la fiction : « Quand le monde dans lequel nous vivons, notre réalité, devient un mensonge, une fiction, je crois qu’il appartient au théâtre (terrain de jeu et de fiction) de rétablir la vérité. » De façon plus vaste, toujours du côté du spectacle vivant, jamais la fiction n’a été aussi réelle. La cheffe de file de ce mouvement est la merveilleuse Laurène Marx. Toutes ses pièces parlent d’elle sans pour autant être documentaires. Dans J’habite une maison qui n’existe pas, elle convoque des ami·e·s imaginaires et un monde fantastique ; ce faisant, elle parle de sa transidentité et de ses problèmes de santé mentale. Sans adopter une posture de témoin, en portant elle-même sa parole sans la déléguer, ses pièces parviennent à nous toucher et à ouvrir une nouvelle forme d’universalité.
Dans un tout autre genre, Lorraine de Sagazan convoque la vérité dans Léviathan. La pièce interroge et condamne le système des comparutions immédiates. Bien que sa mise en scène soit très plastique et repose sur la pantomime, elle introduit un témoin à un moment crucial, qui raconte sa propre comparution, arbitraire et insupportable.
Dans Hécube pas Hécube, Tiago Rodrigues met en scène un fait divers réel : le procès d’une institution ayant maltraité un enfant autiste. À chaque fois, le « c’est vrai » renforce la puissance de la fiction. C’est encore plus fort parce que cela a vraiment eu lieu.
Longtemps considérée comme une preuve, comme un témoin, la photographie, de son côté, n’est pas en reste. Elle s’est imposée comme un vecteur de vérité, notamment pour l’élucidation d’affaires criminelles. La photographe Anna Szkoda en joue dans sa série Sirius, inspirée d’un fait divers autour du mensonge. Dans l’Allemagne des années 1970, un homme raconte à une femme l’histoire d’une étoile, Sirius, dont il serait originaire. Des mois durant, il la berce d’illusions et finit par la convaincre de se suicider pour rejoindre l’étoile. Dans sa série, Anna Szkoda refuse l’approche documentaire et prend le parti du mensonge et des illusions. Elle brouille les frontières entre fiction et réalité, construisant un imaginaire commun entre crime et fantastique.
Enfin, nous vous souhaitons une belle semaine avec de vrais articles à lire et de vrais coups de cœur dans vos lectures, vos spectacles, vos films et vos expositions !
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