Né à la Nouvelle-Orléans à la fin du XIXe siècle, le mot «jazz» porte en lui une énergie charnelle, sulfureuse. En 2025, il nous an encore fait succomber : entre la fureur funk-cubaine de The Getdown, la sensualité puissante de Sophye Soliveau en live ou la jeunesse éternelle d’Herbie Hancock. Voici quelques souvenirs de cette année 2025. Audacieux et insolents, flamenco revisité de Vicente Amigo et folk intimiste de Brad Mehldau, tempos effrénés et ballades où le temps s’étire autant que les corps lentement se déhanchent.
Sophye Soliveau au grand prix de la Sacem : séduction intemporelle
Depuis son album Initiations, sorti en 2024, Sophye Soliveau fait son chemin. On l’a vue évoluer au fil de ses concerts, gagnant en intensité à chaque apparition. Ce qui frappe, à chaque fois, c’est sa sincérité intacte, son engagement total, la manière dont elle habite sa musique sans artifice. Et puis, il y a eu ce moment suspendu au Grand Prix de la Sacem, fin 2025. Une soirée où des artistes venant d’horizons musicaux divers se sont succédé sur scène pour recevoir leurs prix et partager leur art. Mais une seule a imposé le silence, captivé l’assistance, et fait vibrer les murs comme dans un souffle : Sophye Soliveau.(https://cult.news/actualites/le-grand-prix-sacem-2025-une-soiree-rythmee-en-musique-et-en-prix/) Entière, sans détour, elle est montée seule sur scène, accompagnée uniquement de sa harpe. Quelques notes résonnent, presque timidement… puis elle se transforme, devenant l’incarnation même du groove et de la musique, tout simplement. Merci pour ces instants. On attend avec impatience le prochain album (pour 2026 on espère), déjà sûr qu’il sera aussi lumineux qu’elle.
Brad Mehldau, Ride into the Sun : entre jazz, folk et lumière
Brad Mehldau, pianiste de jazz virtuose aux multiples reflets, s’est fait une place singulière dans le paysage musical en mêlant standards jazz et reprises audacieuses de chefs-d’œuvre pop-rock, de Radiohead à Nick Drake. Sur son site, il livre autant de notes musicales que d’éclairages philosophiques ou classiques, car pour cet artiste, la musique est une passerelle vers des horizons larges et lumineux. Son dernier album, Ride into the Sun, témoigne de cette quête en mêlant poésie et musique pour un vibrant hommage à Elliott Smith, figure folk culte disparue prématurément à l’âge de 34 ans en 2003, connue notamment pour ses contributions aux univers mélancoliques de Gus Van Sant. Dans une interview donnée à Radio France, Brad Mehldau confie s’être nourri de ses échanges avec le chanteur dans un club de Los Angeles, où artistes et rêveurs se réunissaient dans une ambiance féconde. Le titre de l’album lui-même fait écho à une phrase d’une chanson d’Elliott Smith : « Il dit que tout le monde s’attend à ce que je chevauche dans le soleil. Lorsque j’écoute de la musique, j’ai l’impression d’être en communion avec les autres, parfois même avec ceux qui ne sont plus là, comme une chevauchée perpétuelle vers la lumière. » Entre jazz teinté de délicates influences folk, atmosphère chaleureuse et mélancolie douce, c’est une invitation à l’hiver, non pas en repli, mais en sérénité, aux couleurs nostalgiques enveloppantes.
Coulondre, Dolmen, Privat, The Getdown : un album jazz-funk plein de vie et de joie contagieuse et surtout un live explosif.
Orgue, piano et percussions s’entrelacent avec élégance pour offrir un album chatoyant qui groove. Parmi les pépites, le tube «Uno Mas», irrésistible et entêtant. Mais si l’album séduit, le live, lui, est un autre monde : une véritable explosion. On les a vus lors de la soirée You and the Night and the Music à la Salle Pleyel le 15 décembre, et il n’aura suffi que d’un morceau pour embraser la salle. Car, surprise, au piano en live, ce sont les phénomènes cubains Rolando Luna et Harold Lopez-Nussa qui prennent les commandes. Une énergie sans concession, des rythmes effervescents, et une virtuosité qui ne laisse qu’une option : danser. Écoutez l’album comme une mise en bouche délicate, un apéritif sonore qui prépare leur prochain concert au New Morning, à Paris, prévu le 16 janvier 2026. Live indispensable.
Vicente Amigo : un grand maître du flamenco qui a fait venir le duende à la Philharmonie de Paris
On l’attendait avec impatience. Il est rare de le voir en concert à Paris . Moment de grâce absolue avec lui, sa guitare et ses musiciens, qui nous ont offert bien plus qu’un concert : une leçon de musicalité, une rencontre avec le grand art. Avec une sobriété à couper le souffle, nul besoin d’effets ni de sortie spectaculaire pour dire ce qu’est le flamenco, le vrai. Celui qui puise à la source mais s’enrichit, ici, d’un souffle jazz, de couleurs harmoniques délicates et modernes. Une démonstration pure, portée par la présence magnétique d’un artiste qui semble jouer avec l’éternité.
Herbie Hancock à Jazz à Juan les Pins : le jazz comme élixir de jeunesse
Herbie Hancock débarque à Jazz à Juan avec une dream team digne d’un casse de cinéma : Lionel Loueke, Terence Blanchard, James Genus, Jaylen Petinaud. Une escouade de tueurs, et lui, général bienveillant, sourire en coin, curieux de tout, jongleur de synthétiseurs futuristes et poète en vadrouille. 85 ans au compteur, et pas une ride dans les doigts ni dans le regard, toujours aussi charmant. Herbie joue comme on respire : un groove naturel, une élégance désarmante, cette science du « pas trop, juste ce qu’il faut ». Pas une note de plus, juste la bonne, impeccablement placée, comme une étoile filante dans la nuit d’été. Juan-les-Pins, la mer en arrière-plan. Hancock s’amuse, 85 ans mais plutôt 5 ans dans l’émerveillement, l’enthousiasme, la curiosité. Il aime les gadgets, s’amuse avec l’intelligence artificielle. On en veut encore une dose. Encore un riff, encore une claque. À 85 ans, Herbie Hancock a tout démontré mais reste là, debout, élégant, prêt pour cinq vies encore. Et nous, face à lui, le sourire béat : posture d’enfant ébahi devant un magicien.
Quelques albums qui nous ont séduits par leur créativité et leurs propositions
Kenny Barron, Songbook : Le grand maître du piano livre un album d’une poésie rare, où chaque note semble racontée comme une histoire. Magnifique jazz intimiste, sublimé par des invités d’exception.
Anne Paceo, Atlantis : Une plongée en apnée dans un univers sous-marin aux sonorités fluides et ondoyantes. Entre bleu profond, jazz aérien et touches pop, un disque planant qui nous laisse rêver.(https://cult.news/actualites/anne-paceo-rencontre-entre-sororite-et-sonorites/)
Jî Drû, Poems for Dance : Poétique et inattendu, cet album est une invitation à la danse, à la transe, au mouvement. Vibrations du cœur au corps.
Laurent Epstein, French Movies in New-York : Accompagné du légendaire Eddie Gomez à la contrebasse, le pianiste revisite avec humilité et élégance les grandes musiques du cinéma français. Un hommage à la fois raffiné et tout en délicatesse qui mérite d’être écouté et réécouté.
Vincent Peirani, Living Being IV (Times Reflection) : au-delà de l’artiste lui même qui a une vision passionnante du processus créatif, ces musiques parfois même répétitives, complexes, proches de la transe mais toujours mélodiques, nous emmènent dans un ailleurs, bienvenu en ces temps politiques complexes.
Et un dernier au revoir à quelques disparus de 2025 qui nous saluent de leur étoile
À Bertrand Blier, fou de jazz et réalisateur des Valseuses
À D’Angelo, musicien qui a fait rêver autour du jazz, du groove et du RnB
À Robert Redford, l’acteur légendaire qui écoutait Chet Baker
À Hermeto Pascoal, grand druide de la musique brésilienne
À Jack DeJohnette, batteur de Keith Jarrett et de tant d’autres, à la cymbale si délicate et poétique
À Lalo Schifrin, grand compositeur de musique de film argentin, au son qui symbolise toute une époque du cinéma.
Enfin au pianiste classique Alfred Brendel. Certes, il ne joue pas de jazz. Mais il partage avec ce genre une même quête : celle d’une sensibilité rare, d’une émotion qui traverse chaque note. Dans son interprétation de Schubert, on retrouve cette délicatesse, ce regard intérieur qui habite les grands improvisateurs de jazz.
Et à tous les autres que l’on ne cite pas dans ces quelques lignes, mais à qui l’on pense bien fort.
Visuel : illustration générée par l’IA
