Véronique Bellegarde, artiste et directrice artistique de la Mousson d’été, évoque l’édition 2024 du festival.
Alors, la Mousson d’été, c’est un festival international d’écriture contemporaine, de rencontres théâtrales et accompagné d’un dispositif qui est l’université d’été. Les deux sont vraiment imbriqués. Il a été créé par Michel Didym en 1995 et a été assez rapidement accompagné par les tutelles.
En fait, dans l’équipe de l’Université d’été, il y a aussi deux artistes, autrices et metteuses en scène, Nathalie Fillion et Pascale Henry. Donc c’est pas que des universitaires, mais le dispositif de l’Université d’été, c’était de créer une dynamique autour de l’écriture. Et donc, le travail est complètement relié, c’est-à-dire que les participant.es travaillent sur les mêmes textes de la programmation et il y a donc vraiment une synergie autour de l’écriture. Et puis, c’est aussi une façon de transmettre. Il y a des enseignant.es dedans, des auteurs, des autrices et des interprètes qui viennent de différents endroits de France. Donc, ça a aussi une vertu de formation, de transmission et d’immersion dans l’écriture. Et pas juste de venir voir un texte et puis consommer une lecture. Tout ça, c’est un travail.
Les conversations [des moments d’échange] font aussi partie du dispositif de l’Université d’été. Elles sont animées par Jean-Pierre Ryngaert.
En fait, j’étais artiste associée à la Mousson d’été, donc ça fait un certain temps qu’il a intégré la Mousson. Par ailleurs, il est aussi devenu président de ma compagnie. Donc, on a effectivement des affinités qui font que, au moment de ma prise de direction de la Mousson, ça coulait un petit peu de source qu’on prolonge ce dispositif qui est très fructueux. Il n’y avait pas de raison de remettre ça en cause, parce que c’est un socle.
J’ai tout de suite eu à cœur de développer la Mousson hors du temps du festival, que les textes qui nous ont convaincu.es puissent avoir une circulation et soient repris ailleurs, qu’il y ait un rebond et que la Mousson s’inscrive dans différents contextes.
À l’automne, on a les Chantiers d’automne, en partenariat avec l’espace Bernard-Marie Koltès. Ensuite, j’ai tout de suite aussi établi un partenariat avec le Rideau de Bruxelles et j’étais au printemps à son festival « Lis-moi tout ». Là, on est en train de de construire d’autres choses, comme avec la Comédie de Reims. Pour Monica Isakstuen [autrice norvégienne], on a fait une commande de traduction à l’ambassade de Norvège. Et puis, c’est la première lecture ici, elle sera reprise à la comédie de Reims, c’est des choses comme ça. Carole Thibault est venue diriger une lecture et puis elle a produit le texte. J’essaie de créer comme ça des synergies pour que ça soit un tremplin pour d’autres : au-delà du grand plaisir qu’on a entre nous de découvrir des textes qui nous passionnent, c’est qu’ils puissent vraiment circuler.
Et puis aussi, je fais rentrer une ligne un petit peu pluridisciplinaire. Depuis deux ans, par exemple, il y a un fil qui se trace dans un pas de côté, avec des formes où la danse est inscrite dans l’écriture et l’année dernière déjà, on avait deux textes comme ça. Aussi, la part de la musique, à travers des cabarets : il y en a au moins trois.
Il y a une part de carte blanche, on en discute avant. Steve Gagnon [qui a animé le cabaret de dimanche], il était déjà venu l’année dernière, donc il connaît un peu l’esprit de de la maison. C’est important que les artistes qui s’en emparent connaissent le contexte. David Lescot, il connaît bien la Mousson, donc j’ai une confiance totale.
L’art circule à travers les frontières. Il y a assez de barrages, de frontières qu’on érige en plus en plus. Elle [la langue], on la traverse, c’est important parce que ça nous fait connaître d’autres écritures, ça nous fait aussi percevoir ce qu’il y a d’universel dans ce qu’on peut ressentir, dans l’art du dialogue… C’est une ouverture intellectuelle, poétique, esthétique. La Mousson, c’est vraiment sa caractéristique d’être internationale.
C’est pas une réflexion, c’est un goût. Pour Monica Isakstuen, c’est vraiment un goût prononcé pour cette autrice qui dit qu’elle était inspirée par Jon Fosse, d’où la présence aussi de Jon Fosse sur deux textes cet été, où je trouve quelque chose de très nourrissant, très essentiel dans son écriture. Comment il parle de l’invisible, de ce qui ne se dit pas dans les mots, mais ce qui est suggéré ou qui se dit avec quelques mots, mais qui est immense derrière, et toute la métaphysique, la poésie et la vibration. On n’est pas dans une écriture qui dit tout. Et Monica Isakstuen, elle est influencée par cette écriture-là. Elle a cette dimension humaine, assez métaphysique, mais très ludique. Et elle va creuser dans les rapports familiaux pour parler aussi de la société, des places qui sont assignées pour faire bouger les règles et l’individu. Le moi de l’individu, les contours s’effacent. Donc il n’y a pas forcément de noms de personnages. Ça ouvre pour moi de nouvelles dimensions.
Bon, c’est vrai que, à la base, je suis une metteuse en scène et je suis d’abord artiste et que donc j’en ai besoin pour me nourrir, parce que ça nourrit ma passion et mon désir, donc c’est très moteur. Les textes, je suis baignée dedans toute l’année. Donc les choses se construisent, mais je dirais que de construire une programmation de festival, c’est aussi un acte artistique. C’est prendre des couleurs, les disposer, entendre différents sons. Je ne ressens pas deux choses vraiment différentes. C’est un peu une prolongation. Bon, c’est vrai, il y a des responsabilités d’organisation. Mais je suis très bien entourée par Jean Balladur et Errel Blouët.
Oui. La famille, c’est une micro-société, donc on décèle beaucoup de non-dits dans les familles et puis de perte de contrôle et il y a l’héritage. Effectivement, il y a pas mal de textes qui questionnent la parentalité, l’instinct maternel, les dégâts collatéraux de chocs émotifs dans la famille, sur des enfants. Comment après, dans le souvenir, les choses peuvent remonter. Mais ce n’est pas un thème qui a été choisi.
Là, il y a un cap au Nord qui dépasse les Scandinaves. Il y a Sara Stridberg, qui est une grande autrice suédoise, qui revient pour la deuxième fois, il y a Magne Van Den Berg qu’on suit. Je trouve que c’est important de suivre des auteurs ou autrices, parce que l’œuvre d’un auteur, c’est sur un parcours. Il y en a qui ne sont pas connus, donc il y a des découvertes, mais il y a aussi un suivi sur certains qu’on veut accompagner, qu’on veut faire connaître, donc il y a une fidélité sur quelques figures. Il se trouve qu’on apprécie beaucoup Sara Stridberg, on apprécie beaucoup Monica Isakstuen et Magne Van Den Berg, donc il y a quelque chose qui s’est tissé comme ça. J’ai dit : « Ah bah tout ça, c’est le nord ». Donc il y a un cap au Nord qui a émergé. C’est comme ça que les choses se font, plutôt naturellement. Et puis bon, le cap au Nord, il va jusqu’au Québec, en fait.
C’est un lieu absolument magique au bord de la Moselle, où il y a à la fois l’hôtellerie, des espaces de de travail, on nous laisse la liberté d’équiper des salles, d’installer des salles en extérieur.
Cette synergie dont j’ai parlé avec l’Université d’été, elle existe aussi beaucoup par rapport au lieu, où tout le monde se rencontre sans arrêt et on est en immersion, on parle des textes du matin au soir jusqu’à même parfois 2 h du matin dans le chapiteau. On parle avec les interprètes, les metteurs en scène aussi. On est complètement libre en fait, on peut parler très tard dans la nuit et puis on rentre simplement. Il y a quelque chose qui est assez apaisant de pouvoir prendre le temps comme ça, d’échanger juste autour de des textes, c’est un luxe.
Complètement, il y a plein de gens qui viennent me dire ça, qu’ils ont une année très difficile et que là, c’est un temps suspendu et que ça, ça fait beaucoup de bien de d’être là à se concentrer sur les textes du festival, les rencontres, l’art, tout. On peut débrancher et se concentrer sur ce travail-là.
On recommence à lire et à chercher. En fait, on cherche toute l’année, il faut prendre le temps de découvrir les textes. Donc il n’y a pas une ligne directrice sur les textes, c’est pas volontariste comme ça, on est des chercheurs. Bon, ensuite je sais que j’ai envie de continuer à développer les cabarets, peut-être qu’on va faire intervenir d’autres arts, la magie ou les marionnettes, faire d’autres incursions artistiques tout en restant centré autour du texte.
Oui, je peux ajouter que la qualité de des présentations des lectures vient aussi beaucoup de la troupe éphémère d’artistes qui est constituée pour la Mousson et que c’est toute la passion des actrices et des acteurs qui s’emparent des textes et qui passent d’une écriture et d’un monde à un autre, sans regarder le temps de travail et que c’est eux qui font émerger tout ça et il faut les saluer.
Visuel : ©Philippe Delacroix