Après Avignon, le Théâtre public de Montreuil accueille jusqu’au 10 octobre Lieux communs, de Baptiste Amann, une pièce qui, sous ses allures de thriller et de théâtre politique, met en scène la crise de la représentation.
C’est par deux prises de parole politiques que commence cette représentation de Lieux communs. La première, assumée par le personnel du Théâtre public de Montreuil, rappelle la nécessité d’un véritable service public de la culture et du maintien des subventions aux théâtres publics ; la seconde, interne à la fable, se déroule également sur une scène de théâtre : c’est le réquisitoire d’une militante féministe contre un spectacle mettant en voix les poèmes d’un auteur présumé d’un féminicide. L’a-t-il tuée, ne l’a-t-il pas tuée ? Là ne sera pas la question.
Car si le mystère qui entoure la mort d’une jeune femme traverse tout le spectacle, le cœur de celui-ci sera bien plutôt la question de la représentation. Représentation de l’obscène, de l’invisible et du dissimulé. Plus qu’il n’interroge notre rapport aux dispositifs de la société du spectacle conspuée par Debord, Lieux communs met en crise ce même rapport. Il use pour cela des procédés qui, depuis qu’il s’est émancipé de l’injonction aristotélicienne à la mimesis, caractérisent le théâtre, pour représenter les médias télévisuels et internet : l’outrance assumée, le refus de tout pacte réaliste, mais aussi l’humour et l’autonomie des mots.
Théâtre des mots autant que des corps, la pièce de Baptiste Amann met en jeu les différents discours charriés par l’horreur des féminicides : leur juste dénonciation en même temps que leur récupération par l’extrême-droite, toujours prétendument féministe quand il s’agit de stigmatiser les étrangers (l’auteur présumé du féminicide étant un homme noir…). Mais ce travail sur le poids du verbe apparaît dans l’ensemble de l’écriture de la pièce : la reproduction scénique des reconstitutions policières est remplacée par les mots d’un interrogatoire qui agissent autant sur l’imaginaire du public qu’une représentation faite de chair et d’os.
Quant à la mise en scène contestée des poèmes de l’assassin supposé, nous n’en voyons que des fragments, la scène de la salle Jean-Pierre Vernant se faisant coulisses et les coulisses, salle de spectacle. Pourtant, si notre regard n’accède à ce spectacle que par bribes, nous entendons l’intégralité de son texte, qui oppose la parole de l’accusé à celle des policier·es. La réflexion introduite par les militantes féministes sur l’obscénité d’un tel spectacle est ainsi mise à mal par ce dispositif qui condamne, grâce à ce jeu avec le topos du théâtre dans le théâtre, les spectateurs et spectatrices de Lieux communs à écouter ce plaidoyer pro domo pourtant contesté. Et c’est là l’une des grandes réussites du spectacle : incarcérer le public dans cette prison verbale dont il ne peut sortir. Où comment prouver par l’exemple que la force évocatrice des mots vaut bien celle des images.
Lieux communs, de Baptiste Amann, au Théâtre public de Montreuil du 24 septembre au 10 octobre.
Visuels : © Christophe Raynaud de Lage