Au Théâtre Lepic, la metteuse en scène et comédienne Adèle Royné, avec l’aide de Guillaume Vincent, roi des rideaux qui cachent des couleuvres, s’empare du thème classique mais efficace de la famille, dans un presque boulevard intelligent et hilarant.
La sensation d’être dans un lieu des années 1930 est si totale qu’on en oublierait presque qu’il s’agit d’une reconstitution, menée par le roi Claude Lelouch en 1983. On se trompe et on dit : « C’était un cinéma à la Belle Époque. » Mais non. C’était un théâtre d’abord, dans les années 1950, puis un cinéma et enfin, depuis 2003, le Théâtre Lepic, dirigé par Salomé Lelouch, la fille de son père donc. Et c’est en bas, tout en bas de ce lieu, que se trouve cette salle devenue mythique, au cadre ourlé de loupiotes. C’est là que se tient La Fête des Mères. N’y voyez aucun lien avec le livre éponyme. Adèle, qui campe Louise, est comédienne et veut faire un spectacle sur Violaine, sa mère insatisfaisante par essence. Pour peaufiner son enquête, elle décide de débarquer après des années de silence, le jour de la fête des Mères, qui est aussi l’anniversaire de sa mère, dans la maison d’enfance où elle va retrouver ses frères : Ziggy (Aubin Hernandez) et Gabriel (Félix Back), mais aussi Florence (Florence Janas), officiellement la petite amie de Ziggy, et Arthur (Cyril Metzger), le petit ami de Gabriel. La table est en bordel, deux rideaux arc-en-ciel encadrent le fond de scène, la moquette est verte, les paillettes sont partout. C’est clair, nous sommes chez Guillaume Vincent.
Guillaume Vincent est le roi du glam. Lui qui a déjà mis en scène sa version du film Opening Night dans Second Woman et exploré le cinéma lynchien avec La Nuit tombe, et qui s’était amusé à jouer des codes de l’entre-soi avec une belle dose d’ironie et de paillettes pour Songes et Métamorphoses, sait parfaitement mêler le grotesque et le sublime, l’ombre et la lumière. Bref, le kitsch comme ressort pour échapper au pire. Pour cette Fête des Mères, il est uniquement collaborateur artistique, mais on sent qu’il a accompagné l’écriture de ce texte façon vaudeville et aidé à la construction d’images fortes, comme cette presque photo où, bien après, la famille réunie, ultra-bourrée, gît à table, tous et toutes augmenté.e.s d’accessoires cheap, mais qui brillent bien. Cette famille, comme toutes les familles, a son lot de secrets et de non-dits. Comme dans toutes les familles, les individus deviennent des personnages quand ils se retrouvent, plus si souvent, pour passer à table un soir de fête.
Dans cette pièce, on rit des gags qui nous « flinguent » à chaque seconde, presque à la chaîne, presque par obligation. Car nous sentons bien qu’un truc cloche, que la violence n’est pas loin, qu’un gros mensonge va devenir une vérité. Les comptes se règlent à coups de double je. Gabriel est parfait en cynique, son mec idéal en faux « petit con », Ziggy est prêt à prendre son envol « enfin », Florence sourit trop fort pour cacher qu’elle est morte d’angoisse. Chacun et chacune en prend pour son grade dans des échanges de vannes qui tirent à balles réelles : « pute », « pd », « zizi » sont les trois petits noms dont cette mère que l’on fête, mais que nous ne voyons pas, a affublé sa progéniture. « Ça fait un peu boulevard, non ? » dit Louise. Oui, clairement oui, mais pourquoi les éléments un peu potaches de ce genre-là ne pourraient-ils pas faire bon ménage avec le contemporain ? Ça marche, et ça marche fort. La Fête des Mères est un spectacle juste, terriblement cynique, parfaitement joué, qui rappelle que toutes les familles sont imparfaites. Alors, autant en rire et faire avec.
Jusqu’au 30 mars au Théâtre Lepic du mercredi au samedi à 21 heures.
Visuel : © Thibaud Camus