Non essentiel le théâtre ? Alors pourquoi en faire jusqu’à se faire physiquement et moralement très mal ? Au Festival Bruit, Sylvain Sounier règle ses comptes en même temps qu’il déclare sa folle passion pour les plateaux. Une pièce exutoire qui ne donne envie que d’une chose : le voir jouer et jouer encore.
Au commencement, on croit revoir Vincent Macaigne, il y a quinze ans. Un personnage hurle fort, gesticule, crie, mais alors crie. Normal, direz-vous, puisque nous sommes au Festival Bruit du Théâtre de l’Aquarium. Lui, c’est Sylvain Sounier, et oui, on l’a beaucoup vu chez ces deux icônes qui sont Macaigne puis Creuzevault. Avant l’entrée du public, il nous accueille dans le hall-bar du théâtre. Il monte sur les tables. Il se cogne au réel. Ce soir, Sylvain Sounier est là pour parler de Sylvain. De son propre vertige, de ses illusions fracassées contre le mur des répétitions. Pour nous parler de cette fièvre qui consume et qui fait tenir. Il voulait le théâtre, il voulait Shakespeare, il voulait Marx. Il voulait jouer, il a joué, perdu un peu, mais gagné pas mal. On entre en salle.
Le décor ressemble à un décor de Macaigne avant la bataille. Pour l’instant, c’est propre. Le tissu en plastique ne compte aucune écriture. Il y a un musicien en scène qui pour le moment, pour le moment seulement, n’a pas encore balancé l’hymne kitsch et mélancolique de la pièce. Spoiler alert, ce sera Les paradis perdus de Christophe. Pas mal non, quand on sait que le Paradis c’est l’endroit d’où les pauvres regardent le spectacle. C’est de là qu’un soir aux Bouffes du Nord, Sylvain rencontre l’ethos macaignien : la rage qui se transforme en images d’une telle beauté qu’elles collent à l’œil pour toute la vie.
Très vite, il intègre la compagnie, mais la rage à un prix : la santé. Nous accédons alors, chose folle, aux coulisses des coulisses. Plus de dix ans après les faits, Sylvain qui a déjà changé de rôle trois fois, multiplié les accents et les générations, et a déjà fait couler un peu de sang sur sa tempe, son tee-shirt et le sol, raconte les traces physiques, les coups et les blessures liés à la plus belle scène d’Au moins, j’aurais laissé un beau cadavre, celle du théâtre dans le théâtre, celle où dans un château gonflable Hamlet se bat contre son oncle dans des litres, mais alors des litres de sang. Vous n’avez pas vu la pièce, comptez sur ce comédien dément pour vous la faire revivre comme si vous étiez.
Oui, le grotesque et le sublime, tout le temps. J’ai dans la tête un sac de frappe est un autoportrait de comédien qui n’a fait que des choix très forts dans sa carrière : la violence de Macaigne, la tentation totalitaire de Creuzevault qui l’a mené jusqu’à faire des crises d’angoisse sur scène. Il y a du grotesque à aimer ses bourreaux, surtout quand ils créent du sublime. Et Sylvain aussi sait créer de la beauté. En plus de livrer un texte aux punchlines addictives (et parfois vocodées !), il sait aussi faire des images. Une lampe frontale et un mur noir, et vous êtes un soir avec Chereau. Un éclat de mousse et vous vous retrouvez de nouveau chez Vincent, une rangée de chaises disparates, des mots qui défilent, et ça y est Le Capital et son singe et Les Frères Karamazov de Sylvain Creuzevault sont là.
La douleur, en boucle, le sang dans les oreilles, le bourdonnement. Tout cela devient l’écho d’un combat intérieur qui ne trouve pas de repos. Et pourtant, il faut jouer. Il faut se heurter, encore et encore. Travailler, comme le martèle Marx. « Nous devons trouver à nous assoiffer ». Et c’est peut-être là, au creux de cette soif inextinguible, que se loge la véritable pulsation du spectacle. Un éclat, une fêlure, « une brèche » d’où surgit la nécessité de continuer, malgré tout. J’ai dans ma tête un sac de frappe est un uppercut scénique où la frontière entre le réel et la fiction se dissout dans le jeu aux multiples personnages qui est porté par la fougue intacte de Sylvain Sounier et la partition musicale de Maxime Kerzanet. Le tout dans un geste scénique et dramaturgique qui ne laisse jamais démonter.
Le spectacle se joue :
Durée : 1h25
Au Théâtre de l’Aquarium
Visuel :© Thomas Bader