À l’occasion de sa série Répertoire, le Festival d’Automne propose, jusqu’au 8 novembre, de revoir le cinquième rituel d’Émilie Rousset et Louise Hémon, consacré à La mort. Et alors ? Ça tue !
Comme souvent chez Émilie Rousset (Reconstitution : Le procès de Bobigny, Les Océanographes, Paysages partagés…), le document est joué de façon directe. La Mort ne fait pas exception. En collaboration avec Louise Hémon, Émilie Rousset s’est souvent intéressée aux rituels. Celui-ci, mis en scène en 2022, succède au Grand Débat, une création de 2018, qui offrait un mash-up génial de tous les débats d’entre-deux-tours des candidats et candidates à l’élection présidentielle en France. Pour ce cinquième rituel, nous sommes face à une forêt de micros sur pied et un écran surélevé. Rapidement, nous comprenons que la pièce renvoie directement à son époque de création : il y a deux ans, à la sortie du Covid, tout juste.
À ce moment-là, la pièce est portée par les lauréats et lauréates de l’opération Talents Adami Théâtre de 2022. Ce dispositif offre aux jeunes artistes l’opportunité de participer à une création d’un.e metteur.e en scène de renom. Aujourd’hui, la troupe réunit à la fois ces ancien.ne.s lauréat.e.s et de nouveaux et nouvelles venu.e.s.
Garance Bonotto, Aymen Bouchou, Barbara Chanut, Anaïs Gournay, Manon Hugny, Anthony Martine, Arthur Rémi et Ophélie Ségala vont se succéder, non pas à la barre, mais à l’écran. Nous comprenons vite que nous assistons à une visioconférence. Émilie Rousset et Louise Hémon reprennent tous les tics de voix et de gestes propres à cet exercice très ancré dans la pandémie. Arthur Rémi est le premier à intervenir, son visage expressif en gros plan. Depuis qu’il a été Talent Adami (2022), le comédien est omniprésent, on l’a vu dans Mes parents de Mohamed El Khatib ou dans Le Malade imaginaire de Nauziciel. Il incarne une spécialiste des enterrements alternatifs, gênée par des soucis de connexion et un chat qui passe devant sa caméra. Elle – jouée par lui – nous parle de l’aquamation, une technique consistant à plonger le cadavre dans de l’eau chaude (93 °C), agitée et contenant des agents facilitant la dissolution des chairs en quelques heures (3 à 4 heures). Au début, le public rit à l’idée de finir comme des pâtes dans une casserole. Puis, la pièce avance, et chacun.e des membres du groupe prend la parole à tour de rôle à l’écran. Leurs têtes deviennent énormes sur leurs petits corps, démesurées, à l’image de ce sujet si ordinaire et pourtant qui nous dépasse, nous, humain.e.s.
Pendant qu’un.e acteur.trice parle, iel est interrogé.e par le groupe, de dos, comme une seule voix en écho. Imaginez ce moment où, sur Zoom, tout le monde parle en même temps. Voilà, c’est ça. Les intervenant.e.s se succèdent, spécialistes de la mort. Lorsque Manon Hugny nous parle d’humusation, l’idée nous tente vraiment : une forme de compostage des défunts, où l’on finit par devenir… un arbre. Elle défend son idée avec espièglerie, très convaincante. Nous les écoutons parler de leurs métiers : funeral planner, photographe de cadavre, maquilleur.euse de corps, rédacteur.rice en chef d’un média sur la mort… tout cela nous semble léger et drôle. Ce serait oublier qu’Émilie Rousset, bien qu’utilisant des matériaux documentaires, n’en est pas moins une magnifique metteuse en scène de théâtre. Elle introduit de la fiction dans l’image là où on ne l’attend pas ; en un mot, cela devient du cinéma. C’est lorsque les vivant.e.s deviennent des zombies, des répliques de leurs propres dépouilles, de façon ostentatoirement artificielle, que le discours cesse d’être distant. Pour devenir réelle, la mort – notre propre mort – doit être accompagnée de beaucoup de faux sang coagulé. Il fallait cela pour que la parole s’approche et que la mort nous regarde droit dans les yeux, comme un reflet de nous-mêmes.
Au Théâtre 13 (Bibliothèque), jusqu’au 8 novembre.
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Visuel :©Philippe Lebruman