Ce n’est pas banal : le vénérable festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence célèbre ses 75 ans avec… des comédiens du Français! Au générique de l’Opéra de Quat’sous qui faisait l’ouverture ce mardi 4 juillet, non pas des chanteurs, mais des comédiens entraînés au chant… Avec une scénographie colorée et une mise en scène cabaret de Thomas Ostermeier.
C’est donc entraînés par des cours de chants lyriques et afin de reprendre cette production chez eux à Paris, en septembre, qu’Elsa Lepoivre, Véronique Vella, Christian Hecq, Benjamin Lavernhe et Birane Ba se plongent des les personnages des bas-fonds londoniens imaginés par Brecht et Weil. Ils sont un peu aidés par Marie Oppert, entrée cette année à la Comédie française, après s’être fait connaître dans des comédies musicales. Elle donne un timbre et un panache fous au personnage de Polly. Tout débute comme un cabaret. Quand Mackie-la-lame incarné par Birane Ba ouvre les tours de chant avec une perruque blonde et pantalon à paillettes et un « Morität » qu’il commence par chuchoter, l’on se dit que ce sera un opéra joué plus que chanté. Mais le son monte avec la tension et un cadre lumineux qui emporte un Mackie carrément ténor vers les cieux de la cour de l’archevêché. Christian Hecq interprète le chef des malfrats mais son Peachum n’est pas tout à fait baryton et Véronique Valla, qui campe son épouse, a une voix magnifique à la Piaf … En somme, on découvre vraiment les timbres de nos acteurs du français… Et c’est souvent réussi, même si pour certains acteurs, 2h30 sans entracte c’est long et la qualité des voix s’en ressent. Les puristes du genre lyrique se montreront forcément critiques de ce parti pris, qui est à l’opposé de la formule qui avait très bien fonctionné dans la mise en scène de Laurent Pelly en 2011 : The Beggar’s Opéra redevenait une pièce qui faisait du monde entier… une scène.
Néanmoins, en termes d’énergie, le courant passe. La nouvelle traduction française du livret rend l’œuvre très accessible. La scénographie est très belle. Et Thomas Ostermeier s’en donne à cœur joie pour diriger (et même chorégraphier) ces hommes et femmes de scènes complets que sont les acteurs du Français. Le public fond devant un Benjamin Lavernhe superlativement bouffon en chef de police. À la musique, Maxime Pascal et son Balcon stimulent encore cette énergie de vie.
Néanmoins, le choix du burlesque pur, sans ombre au tableau, laisse un peu perplexe. Si les hautes couleurs, le choix de la « nouvelle objectivité » criarde par rapport aux ombres de l’expressionnisme s’expliquent pour une œuvre créée à Berlin en 1928, le kitsch n’arrive pas à lui donner plus de relief. L’on comprend bien que baigné dans Brecht et ayant souffert de cette doxa, Ostermeier utilise le kitsch comme le fait Kundera : il se veut critique d’un 20e siècle socialiste. Mais est-ce bien, en 2023, avec un texte pareil, la question centrale ? Et si le public rit de bon cœur aux tours de piste des extraordinaires comédiens, sur la durée, il est franchement ennuyeux de présenter l’Opéra de Quat’sous comme une série de numéros de cabaret. Placer tous ses acteurs, face au public, devant un 4e mur, et s’avançant pour prendre ou perdre le micro, c’est tout de même curieux quand on a,à sa disposition, un chœur pour générer des mouvements de foule de « brigands » ! Et faire clignoter des néons à la Jenny Holz pour annoncer les scènes ne suffit pas à régler la question de la distanciation…
Les comédiens du français l’ont bien senti alors qu’ils nous ont proposé, comme cadeau d’anniversaire pour les 75 ans du Festival, un pastiche engagé et fidèle à Brecht. Les artistes ne sont peut-être pas tout à fait retranchés dans leur tour d’ivoire…
Le Festival d’Aix-en-Provence se poursuit jusqu’au 24 juillet, tout le programme et les réservation se font là :
visuel (c) Jean-Louis Fernandez