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Malgré Tcherniakov, musique et chant en gloire dans les deux Iphigénies à Aix-en-Provence

par Paul Fourier
12.07.2024

Ce qui émane de la fosse et les performances des artistes permettent d’apprécier ce projet de relier Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Tauride, mais les excès du metteur en scène russe rendent, par moments, la représentation pénible.

Aux sources des mythes

À l’origine, il y eut les faits et leur transcription par Eschyle dans l’Orestie (458 av. J.-C.), avec d’une part, l’enlèvement d’Hélène par Pâris et la Guerre de Troie qui en découla, et, d’autre part, la sanglante épopée familiale des Atrides dont le point de départ est le sacrifice de sa fille Iphigénie, par Agamemnon, sacrifice destiné à obtenir des vents favorables afin que ses navires puissent quitter l’Aulide (port de la Grèce continentale, en Béotie), et voguer vers Troie.

À la suite d’Eschyle, Euripide (date 405 avant notre ère) s’intéressera plus précisément à la jeune fille dans ses grandes tragédies Iphigénie en Tauride (413 av. J.-C.), puis Iphigénie à Aulis (406 av. J.-C.). Cette dernière œuvre inspirera Racine pour sa pièce créée en 1674.

Ce seront ensuite Gluck et ses deux librettistes – François-Louis Gand Le Bland Du Roullet et Nicolas-François Guillard – qui mettront en musique les deux pièces.

L’histoire est simple : dans la première des deux œuvres présentées sur la scène du Grand Théâtre d’Aix-en-Provence, le principal enjeu est le sacrifice d’Iphigénie, fille de Roi Agamemnon, afin de satisfaire aux exigences des Dieux.

Dans la seconde, c’est Iphigénie qui, poussée par son époux Thoas, le roi de l’île de Lemnos, passe du statut de victime à celui de bourreau en devant immoler l’un des deux inconnus ayant touché la terre de Tauride.

 

Mais… l’un des deux inconnus est son frère Oreste. Ce faisant, elle se retrouve dans la continuation d’une chaîne infernale, celle qui la relie à Agamemnon, exécuteur de sa fille et victime de sa femme, Clytemnestre qui sera, elle-même, abattue par son propre fils…

 

Comme avec Euripide (ce qui est bien différent en cela du récit d’Eschyle), les opéras bénéficient d’un dénouement heureux, grâce à l’intervention d’un Deus-ex-machina en la figure de Diane qui mettra fin à cette course infernale au sacrifice.

 

Gluck, aux sources du futur opéra Français

 

En les années 1770, l’histoire personnelle de Gluck est fortement liée aux évènements politiques d’une Europe pré-révolutionnaire, sous effervescence philosophique et musicale. Marie- Antoinette vient de quitter Vienne à Paris, afin d’épouser Louis XVI.

Le compositeur va suivre ce mouvement et, laissant l’opera seria qu’il pratiquait dans la capitale autrichienne, il va désormais se consacrer au genre français.

 

L’on n’insistera jamais assez sur l’influence capitale, et même radicale, de Gluck sur l’opéra français et sur ses successeurs, Cherubini et Spontini, puis Berlioz, et enfin, de ceux qui, dès lors, perpétueront l’art du Grand Opéra Français.

 

Dans son conflit avec Niccolò Piccinni qui s’inscrit à la suite de « la querelle des bouffons », Gluck impose la force du mot et du fait dramatique (via la déclamation) et les place dans un équilibre, en importance, avec la musique.

 

Ce débat se déroule parallèlement à un contexte artistique marqué par l’imagerie antique, un imaginaire stimulé par la découverte du site d’Herculanum en 1755 et par la publication, en 1764, de l’Histoire de l’art antique de Winckelmann. C’est d’ailleurs ce même Winckelmann qui résume l’art grec par une formule, « noble simplicité et calme grandeur », qui semble s’accorder à la perfection avec le style musical de Gluck.

Comme Spontini le fera plus tard avec l’Impératrice Joséphine, Gluck peut se prévaloir du soutien de la Reine Marie-Antoinette, un appui qui lui permettra de supplanter de deux ans, en 1779, la création de la même pièce, Iphigénie en Tauride, par le rival Piccinni.

 

Si Iphigénie en Aulide est, déjà, assurément, une œuvre marquante en raison des normes artistiques mises en application de Gluck, Iphigénie en Tauride, un cran au-dessus, est un chef-d’œuvre incontestable d’une force prodigieuse dès sa scène d’orage introductive, jusqu’à ses nombreux duos et scènes chorales.

Tcherniakov excessif

 

Avec ces deux œuvres dont la teneur se situe avant et après la Guerre de Troie, Dmitri Tcherniakov porte l’idée principale de placer ses actions avec cette guerre comme pivot.

 

En première partie, ce sont des protagonistes insouciants qui ne se doutent pas qu’ils vont être emportés par le carnage. Achille est un « m’as-tu-vu » querelleur qui galvanise une foule par moments pas très loin de danser « la chenille »… ; quant au foyer d’Agamemnon, il apparaît dans toute sa superficialité avec une Clytemnestre (Véronique Gens,  royale !) très intéressée par l’alliance qui va lier sa famille à celle du prestigieux Prince. Scéniquement, les protagonistes font des allées et venues, sans grande plus-value dramatique, dans ce qui figure le Palais…

 

En seconde partie, ils laisseront la place à des personnages cabossés, atteints, tant dans leur chair que dans leur psychisme, par la boucherie que fut cette interminable guerre (on verra défiler le nombre de victimes en début du deuxième opus). Ainsi, Thoas apparaît comme un dément aux gestes désordonnés ; quant à Oreste et Pylade, que l’on croyait quasiment épris, ils ne cesseront de s’empoigner, chacun réclamant sa propre mort.

 

Mais, outre le fait que l’on peut considérer que le parti-pris d’une certaine vulgarité affichée fréquemment ici, colle mieux avec les excès de notre XXIe siècle qu’avec la noblesse de la musique de Gluck, le problème principal, c’est que le metteur en scène semble ne pas réussir à trouver la bonne mesure, surlignant encore et toujours, forçant le trait à un point tel, que ses descriptions en deviennent caricaturales et outrancières.

 

Reconnaissons, toutefois, que, comme souvent chez Tcherniakov, la direction des actrices et des acteurs est remarquable.

Le cheminement d’Iphigénie, passant de fille plutôt soumise à femme volontaire, est pertinent, et il y a, bien évidemment, de belles idées, telle cette substitution d’une Diane jumelle à Iphigénie, la déesse se faisant alors égorger à place de la Princesse ce qui donne au prétendu « happy-end » un goût amer préfigurant le désastre à venir dans la deuxième partie.

 

De grands interprètes et des voix parfois dénaturées par la mise en scène

 

Le second problème, c’est que les options de mise en scène de Tcherniakov ne sont pas sans dommages sur le chant et qu’à force de faire d’Agamemnon et de Thoas de « grands méchants » parfois à la limite de la débilité, l’un adopte un chant saccadé, l’autre éructe continuellement, ce qui nous éloigne sensiblement du style gluckiste.

Et, de fait, on peinera véritablement à apprécier les qualités de Russell Braun et d’Alexandre Duhamel dont les qualités vocales sont entravées par leurs personnages chauffés à blanc.

Dans la première partie, le Achille de Alastair Kent est brillant. Absolument remarquable, tant dans son « Cruelle, non jamais (…) Ne doutez jamais de ma flamme » du premier acte, il livrera un authentique feu d’artifice, couronné d’aigus rossiniens pour le redoutable air enlevé « Calchas, d’un trait mortel ».

 

Ce n’est rien de dire que Véronique Gens est royale dans tous les sens du terme et brille de tous ses feux dans le rôle de Clytemnestre, car, si le duo mère-fille du premier acte entre Véronique Gens et Corinne Winters est déjà d’une grande intensité, son air « Par un père cruel, à la mort condamnée » se révèle être d’une maîtrise exceptionnelle, d’une émotion portée par ce français dont l’importance est capitale chez Gluck. Elle montrera la même excellence à la fin de l’acte III, lorsqu’elle tentera de défendre sa fille jusqu’au bout.

 

Si l’on met à part les exploits physiques dont ils doivent faire preuve dans leur corps à corps permanent, Florian Sempey et Stanislas de Barbeyrac, dans Iphigénie en Tauride, hissent le duo Oreste – Pylade à de très hauts sommets.

Les voix sont incroyablement belles, la proximité des tessitures est à la fois complémentaire et troublante, et leurs apparitions, portées par ce chant gémellaire, sont d’une authenticité bouleversante. L’air solo de Pylade magnifiquement accompagné par l’orchestre (« Unis dès la plus tendre enfance ») est lui, d’une beauté déchirante, tout comme celui, tout en retenue, d’Oreste (« Le calme rentre dans mon cœur »).

 

Si la performance de chanter les deux Iphigénie dans une même soirée, est incontestable, bien que le chant soit globalement irréprochable, l’on aura quelque réserve sur la voix de Corinne Winters qui, outre un français pas toujours adapté à la déclamation, manque souvent de saillance et, parfois même, de rondeur. Il n’empêche que son air de l’acte III d’Aulide (« Il faut de mon destin (…) Adieu, conservez dans votre âme ») est très touchant. On la trouvera, toutefois, d’entrée, beaucoup plus à l’aise dans la tessiture requise dans la partie à Tauride et son « Ô malheureuse Iphigénie » sera magnifique.

L’on doit l’autre grande richesse de la soirée au Concert d’Astrée dirigé, pour sa partie orchestrale, par Emmanuelle Haïm qui porte, même parfois dans la grandiloquence, toute la grandeur et le dynamisme de la musique de Gluck et, pour sa partie chorale, par Richard Wilberforce. Grâce aux instrumentistes et aux membres du chœur, on se trouve totalement transporté dans cet univers musical « gluckiste » adapté aux tourments (et parfois à l’emphase) de la tragédie grecque.

 

Ainsi, l’on a pu s’interroger durant toute la représentation sur la pertinence des choix de Tcherniakov avec l’opéra gluckiste, des choix qui, parfois, iront jusqu’à nous agacer, voire à nous pousser dans nos retranchements, c’est le pendant vocal et musical qui aura permis à cette entreprise mettant les deux Iphigénie(s) en cohérence, de permettre à cette représentation d’être un moment fort de l’édition 2024 du festival d’Aix.

 

 

Visuels : © Monika Rittershaus