La nouvelle version de Carmen, revue, corrigée, montée et présentée par la compagnie Opéra Éclaté a été créée avec succès en mai dernier. Les deux représentations ont reçu un très bel accueil à l’Opéra de Clermont Auvergne.
Si la création de Carmen de Georges Bizet (1838-1875) en 1875 a été un échec retentissant, l’œuvre a depuis connu un succès tout aussi retentissant et a donné lieu à plusieurs revisites. Après le Carmen, cour d’assises créé par l’ensemble Ars Nova en mai (et dont la tournée a commencé en septembre), c’est la compagnie Opéra Éclaté qui donne sa vision du chef d’œuvre de Bizet en présentant une Carmen Al Andalus très bien pensée. Car si l’on y retrouve les airs principaux de Carmen et de Don José, l’on y retrouve aussi deux airs chantés en arabe. L’Espagne a été occupée pendant des siècles par les Arabes venus d’Orient et chassés au XVe siècle après une longue Reconquista.
C’est Olivier Desbordes, qui a écrit le livret de cette Carmen arabo-andalouse en se basant sur l’opéra de Bizet (puisque l’on retrouve quelques-uns des principaux airs de l’opéra) mais aussi sur le livret de Meilhac et Halévy ainsi que sur la nouvelle de Mérimée, a monté une mise en scène originale. Youssef Kassimi Jamal a composé l’air de Garcia (le mari de Carmen qui apparaît chez Mérimée mais pas dans l’opéra de Bizet). Olivier Desbordes s’est inspiré de la culture arabo-andalouse, dont l’immense richesse et la variété sont des sources inépuisables. D’où l’idée d’installer l’action de cet opéra si particulier sur une place de Marrakech, symbolisée par un grand carré avec à droite et à gauche une douzaine de chaises destinées aux chanteurs tandis que le musiciens de l’orchestre Mare Nostrum sont installés au fond de la scène, juste devant le mur du bâtiment qui sert à la fois de cigarerie, de maison, de repère de contrebandiers …
Patrice Gouron, le costumier historique d’Opéra Eclaté, a conçu les costumes des chanteurs et la scénographie de cette Carmen. Et il l’a fait avec talent car chacun a des costumes qui lui correspondent parfaitement ; ainsi les danseuses sont en mesure de faire leur « numéro » de danse arabe dans les meilleures conditions possibles. Quant aux lumières de Simon Gautier, elles mettent parfaitement en valeur chaque scène, chaque personnage.
Olivier Desbordes et son équipe ont invité une très belle distribution à la diction impeccable. A tout seigneur, tout honneur, Ahlima Mhandi campe une très belle Carmen. La voix, ample et parfaitement maîtrisée, correspond idéalement au rôle de l’incorrigible bohémienne ; l’accompagnement à la guitare des deux premiers airs de Carmen, « La Habanera » et « Sous les remparts de Séville », peut surprendre. Mais l’arrangement respecte à la lettre la partition et la brillante interprétation du guitariste Louis Desseigne sublime la musique.
Jean-François Marras est un Don José de très belle tenue ; le livret en fait un homme plus violent que dans l’opéra original, car, en effet, il tue Zuniga revenu chez Lilas Pastia pour tenter de séduire Carmen puis Garcia au camp des contrebandiers. Son interprétation de « La fleur que tu m’avais jetée » est pleine d’amour et de sensibilité. Yassine Benameur, qui est aussi l’assistant à la mise en scène, est un Garcia séduisant ; il chante les deux chansons arabes composées pour l’occasion avec talent.
Le quatuor Mercédès-Frasquita-Dancaïre-Remendado est incarné de très belle façon par Sonia Memen, Sonia Skouri-Robert, Edouard Ferenczi Gurban et Yanis Benabdellah. Les quatre compères s’amusent sur scène et donnent des couleurs leurs personnages respectifs. Omar Hassan (Zuniga), Louis Héol Castel (Lilas Pastia), Aviva Manenti et Analia Teléga (les cigarières) complètent avec bonheur cette distribution. Quant à l’orchestre Mare Nostrum, installé en fond de scène, il accompagne avec talent les chanteurs. Ils ne sont qu’une dizaine mais ils donnent vie à la musique avec autant de fermeté et de dynamisme qu’un orchestre traditionnel. Le talent n’attend pas le nombre des années.
Carmen Al Andaluz from Clermont Auvergne Opéra on Vimeo.
On ne peut que saluer le résultat d’un pari risqué. Olivier Desbordes et son équipe ont donné un nouveau souffle au chef-d’œuvre de Georges Bizet. Le public ne s’y est pas trompé en réservant un accueil très enthousiaste à l’ensemble des artistes présents sur la scène de l’Opéra de Clermont Auvergne.
(c) Mateo Beauche