À l’Opéra Bastille, « L’Affaire Makropoulos » n’a pas pris une ride

par Yael Hirsch
11.10.2023

Sous la baguette décisive de Susanna Mälkki, l’Orchestre de l’Opéra de Paris donne l’avant-dernier opéra de les Janacek : L’Affaire Makropoulos. Vrombissante et fatale, Karita Mattila est une vedette sur mesure dans la mise en scène cinéphile de Krzysztof Warlikowski. À la fois surprenant et éternel.

Amour, sexe et comédie

C’est sous le charme de son dernier grand amour que le compositeur Leos Janacek compose quatre opéras. Et les deux derniers s’opposent en tous points. Comédie brillante et profonde sur l’immortalité, L’Affaire Makropoulos est aussi libre que l’univers de La Maison des morts (adapté du texte de Dostoïevski) est carcéral. Au coeur de cette comédie grinçante où l’on entend parfois claquer les castagnettes de l’autre Bohème, il y a la cantatrice star Emilia Marty (Karita Mattila, toujours éblouissante aussi bien par sa voix que par son jeu). Une star absolue qui éblouit la jeune Krista (Ilanah Lobel-Torres) et une femme fatale qui séduit tous les hommes, aussi bien le jeune Albert (Pavel Cernoch) que le vieil Hauk (Peter Bronder). Une femme aussi, qui pour une sombre question d’héritage semble ne pas hésiter à faire des faux et à se donner à un avocat véreux.

La puissance de l’œuvre

Dès les premières notes de l’ouverture, l’énergie est là. Susanna Mälkki tient ses musiciens comme une armée de cavaliers prêts à nous emporter très loin. La musique nous parle directement par-delà la langue tchèque, avec une montée en puissance des voix qui culmine dans le troisième et dernier acte. Aux côtés de l’indétrônable Karita Mattila qu’on adore nous laisser séduire depuis sa mythique danse des sept voiles dans la Salomé de Strauss à l’Opéra Bastille, on découvre avec bonheur la jeune soprano Ilanah Lobel-Torres, actuellement en résidence à l’Opéra National de Paris.

La modernité renouvelée de la mise en scène

Alors que l’œuvre donne la parole à la femme fatale, puisant dans le Hollywood des années 1950, la mise en scène de Krzysztof Warlikowski n’a pas pris une ride depuis 2013. À travers ses références cinéphiles (dont le mythe de Marilyn Monroe et la fascination de King-Kong) elle est d’abord irréprochable par le fil rouge qu’elle tire sur le lien entre les stars et l’immortalité. Elle est ensuite sublime visuellement, alternant le cinéma dans le théâtre, éclairée de tous côtés (jusqu’au sol qui fait effet de sixième mur !), et des salles de bains reflétant les marasmes intimes. Lumière et colorimétrie parfaite l’équipe du metteur en scène polonais nous régale de fantômes élégants. Enfin, à l’heure où l’on nous propose souvent que le metteur en scène s’efface devant l’œuvre, la proposition tenue et la direction d’acteurs et d’actrices exigeantes de Warlikowski quitte son piédestal de proposition néoclassique pour nous rappeler combien nous aimons alterner entre plaisir et réflexion sur notre société à l’opéra. Et dans cette Affaire Makropoulos, l’immortalité et ses malaises continuent magnifiquement à nous donner à voir et à penser.

L’affaire Makropoulos, de Leoš Janáček à l’Opéra national de Paris.

À l’Opéra Bastille, « L’Affaire Makropoulos » n’a pas pris une ride

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