Chaillot Nomade investit la Grande Halle de la Villette jusqu’au 3 juin avec la nouvelle création de Ohad Naharin et de la Batsheva Dance Compagny, MOMO.
Spleenétique et plastique MOMO, c’est le cri rauque et inarticulé du danseur qui ouvre la bouche. Sur une musique douce, planante et néo-tonale, qui mêle Laurie Anderson et Philip Glass selon une boucle hypnotisante, sept des onze danseurs de la Batsheva Dance Company présents sur scène co-écrivent une chorégraphie qui flirte avec le tutu et le classique.
Tout commence avant même l’annonce d’extinction des téléphones portables. Parfaitement synchrones, comme un tétragone, quatre danseurs torse nu et en treillis gris traversent lentement la scène. Le tempo est donné : ce sera lancinant. Le cadre aussi : le quatuor restera à hauteur d’homme, comme dans le kabuki, jusqu’à devoir littéralement grimper au mur.
Vêtues et vêtus de tutus et de bodys, sept autres danseurs et danseuses entrent en scène, chacun et chacune avec un solo. Ils et elles grimacent, un peu gaga et très survoltés, amenant sur la scène une énergie qui, même contenue, est aux antipodes de celle distillée par le chœur des danseurs.
Batsheva Dance Company/Ohad Naharin • MOMO from ChaillotThéâtrenationaldelaDanse on Vimeo.
En effet, tout se passe comme si, amorçant des figures de la danse classique qu’ils avortent souvent, ces danseurs et danseuses solos cherchaient à exprimer leur singularité face au « mur » des quatre danseurs réglés au même tempo lent et mélancolique. Le moment où la barre du danseur arrive est une proclamation. Et quand elle se transforme en barre de pole dance horizontale ou en perchoir d’équilibriste, c’est une belle provocation. Le ça du gaga est là, mais comme mis en sourdine, dans des corps qui claquent, tapent et marquent le rythme d’une histoire qu’ils semblent vouloir plus personnelle. Et qui lèvent la main, à chaque bruit de drone, pour nous annoncer, à la manière d’une mise en garde, le passage au tableau suivant.
Ohad Naharin a en effet écrit les gestes du quatuor et laissé beaucoup de liberté aux « solistes », ce qui permet de réellement poser la question de l’individuel et du collectif.
Les deux entités finissent par se croiser quand le chœur se heurte au mur du fond et se met à escalader en dansant. C’est sublime et merveilleusement éclairé. Ils se plantent comme un décor. Les rythmes paraissent s’échanger et ce sont désormais les solistes qui semblent planer dans une fugue lente et un peu triste. Ils échangeront leurs places, puis se mêleront les deux rythmes se rencontrant enfin, sans que jamais le « MOMO » individuel ne disparaisse totalement. Les levers de main solennels s’accentuent, l’harmonie et la symétrie règnent. C’est visuellement magnifique, avec également une amertume qui passe, quelque chose de résigné. Un être se range et tout semble dépeuplé.
MOMO, de Ohad Naharin, Bat Sheva Dance Compagny, avec Chen Agron, Yarden Bareket, Billy Barry, Yael Ben Ezer, Matan Cohen, Guy Davidson, Ben Green, Chiaki Horita, Li-En Hsu, Sean Howe, Londiwe Khoza, Adrienne Lipson, Ohad Mazor, Eri Nakamura, Gianni Notarnicola, Danai Porat, Igor Ptashenchuk, Yoni (Yonatan) Simon, 1h10. Grande Halle de la Villette.
Visuels © Ascaf