Dans un auto-portrait co-signé avec le plasticien Jocelyn Cottencin, l’artiste d’origine taïwannaise I-Fang Lin se garde, avec bonheur, de tout enfermement exotique.
Au tout début du solo Ban-Phing Shan, on craint un peu. On y voit la danseuse I-Fang Lin parée d’une robe à grans bouffants d’inspiration asiatique, très élégante, de belle matière, et de teintes chatoyantes. Agenouillée, elle entame ce qui semble une cérémonie pour fruits et encens. Autour de cette présence inspirante, le plateau du Théâtre de la Vignette paraît très vaste, au soir de la clôture du Festival Montpellier Danse. Et tout son fond est occupé par un immense drap-écran, comme laissé là un peu flou, sur lequel palpite un immense paysage de crêtes boisées. Une machine à fumée – bien trop sonore, comme si souvent – noie généreusement tout cela dans une atmosphère vaporeuse tenace.
Qu’y aurait-il donc à craindre ? Qu’I-Fang Lin, qu’on sait d’origine taïwanaise ait décidé de s’affirmer en auto-portrait solo, qui forcerait un trait extrême-oriental de carte postale, forcément délicat et précieux, diaphane et « féminin ». Cela comme pour faire contraste avec la trempe âpre et abrasive qu’on lui connaît par ailleurs, dans sa position d’interprète de longue date des grandes pièces de Mathilde Monnier. Or il n’en sera rien. Assez rapidement, telle une chrysalide, elle se défait de ses abondants atours. On va voir ce que peut un corps.
Désormais très mature, grandement adulte, l’artiste montpelliéraine évolue dans la consistance d’une présence d’évidence. Elle n’a jamais besoin de surabondance, d’excès d’affirmation. Nette, sa gestuelle n’est pourtant pas sèche, le phrasé se développe avec assurance, nourri, et se résout par des transitions équilibrées, tout en relance. Ce déploiement est néanmoins retenu dans une kinésphère resserrée. On dira qu’I-Fang Lin se préoccupe de l’espace, plutôt qu’elle ne l’occupe.
On trouve à tout cela une texture de belle toile et on comprend que ce soit un plasticien, Jocelyn Cottencin, qui co-signe la pièce. Certes il en va de la scénographie, mais on soupçonne que le savoir du trait, de l’installation, de la densité des matières, a à voir avec le geste chorégraphique tout autant. Souvent enveloppée dans des tournoiements à la brassée, l’évolution sur le plateau est généreuse, arpente, mais sans tapage. Tout vibre d’une qualité de caresse savante dans le lien au monde et on se souvient alors qu’I-Fang Lin est aussi une praticienne éclairée des techniques somatiques alternatives.
Bang-Ping Shan se range sur les rayons précieux où la danse se suffit à elle-même pour qu’un être rayonne, sans les prothèses de techniques et d’intentions voyantes.
Visuels (c) J Cottencin