Avec deux spectacles de créateurs venus du pays balte, le centre de développement chorégraphique national niché dans la Cartoucherie du bois de Vincennes a signé une ouverture de saison en tous points fascinante.
Mardi 17 septembre, la soirée d’ouverture de l’Atelier de Paris, centre de développement chorégraphique national niché dans la Cartoucherie du bois de Vincennes, n’a pas fait rimer Lituanie avec litanie. Loin de là ! Les deux courts spectacles, qui s’inscrivaient dans la Saison de la Lituanie, ont au contraire montré le dynamisme et l’inventivité de la création balte.
Avec She dreamt of being washed away to the coast, le chorégraphe Lukas Karvelis revisite un conte populaire lituanien, l’histoire des amours tragiques entre une sirène, Juraté, et un mortel, Kastytis. Le dieu de la foudre, Perkunas, opposé à cette relation, tue l’amant. Juraté n’a plus que l’ambre de son palais en ruines pour pleurer. Le titre du spectacle – « Elle rêvait d’être emportée par les flots vers la côte » – est empreint de mélancolie.
Sur une scène dépouillée de tout artifice, on met plusieurs secondes à distinguer une frêle silhouette gisant à terre et rampant lentement. C’est Juraté, accablée par le chagrin et n’ayant plus la force de se mouvoir. À mesure que la lumière se réchauffe, l’ombre commence à bouger, comme une chenille sortant de son œuf. Sur des nappes de musique électro, l’humain et l’animal ne font qu’un. Le tempo s’accélère, et Dominyka Markeviciuté, incarnation allégorique de Juraté, se lève tout doucement ; et commence à occuper le plateau par des mouvements circulaires de plus en plus amples. Une fois la station debout complètement acquise, la musique s’arrête. Le regard de l’interprète ne sait où se poser. Puis la transe reprend, la performeuse se défait de ses chaussures puis repart en cercles et en quête de liberté.
À travers les glissades tribales se devine l’idée d’un éveil sensoriel. De même qu’un questionnement très actuel : comment se frayer un chemin dans un monde jamais tranquille ? Tout au long des quarante minutes du spectacle, Dominyka Markeiviciuté maintient ses mains dans une sorte de fine camisole. L’évocation d’une émancipation féminine par la rébellion est ici évidente. Le solo se termine avec la silhouette qui retourne au sol, cette fois face à des lumières ensoleillantes de la résilience. À la fois conceptuel et viscéral, c’est tout ce qu’on aime.
Après un entracte de quinze minutes, place à la création de Vima Pitrinaité. Son nom respire la poésie : When you’re alone in your forest always remember you’re not alone. Soit « Quand tu es seule dans ta forêt, rappelle-toi que tu n’es jamais seule ». Sur scène, la chorégraphe est vêtue d’une tenue imperméable à l’allure futuriste à la texture qu’on imagine fort pratique pour aller chercher des champignons dans les bois autour de Vilnius. Face à elle, une console de commandes électroniques raccordées à un amas de câbles épais dont la forme rappelle les racines noueuses… d’un arbre.
Décidément, il y a quelque chose d’organique en République de Lituanie. Des mouvements brusques, parfois simiesques, à la limite du monstrueux, se déploient sans accompagnement musical, laissant entendre la respiration saccadée de la performeuse. Une sonorisation captivante, signée Elias Durnez, vient ensuite apporter l’écho d’un conflit armé pas si lointain : la guerre en Ukraine. La performeuse se met à applaudir, puis pointe du doigt le public, confronte chaque spectateur et semble dire : et vous, qu’avez-vous fait pour empêcher la tragédie ?
Une suite de chiffres évoquant le nombre de victimes, des lumières rouges. Soudain, Vilma Pitrinaité se frappe dans une sorte de bataille contre elle-même, tourne en rond, tombe. Elle tente de se relever malgré le vacarme alentour. Ce qu’on prend dans un premier temps pour des bombardements d’aviations est en réalité composé de voix. Le mot « Forest » est répété, psalmodié. La mécanique du corps pris dans le magma sonore de la guerre est ici absolument vibrante.
Avec ce passionnant doublé, l’Atelier de Paris signe une ouverture résolument contemporaine, engagée et concise tout en étant généreuse.
Visuel : © Swelniau
When you’re alone in your forest always remember you’re not alone sera présenté au Festival Actoral à Marseille, à la Friche la Belle de Mai I Studio MOD, samedi 05 oct 2024 à 20 h00 et dimanche 06 oct 2024 à 17:00