Le spectacle Passages de la circassienne Alice Rende (compagnie AR) était programmé dans le weekend d’ouverture de la BIAC. Une performance captivante pour une acrobate contorsionniste enfermée dans une boîte de plexiglas aussi haute qu’étroite.
Parfois, une bonne idée, bien exécutée, vient exactement au bon moment, et le résultat s’impose comme une évidence : Passages est de ces spectacles dont on se dit qu’ils ne pourraient pas tomber plus juste. Et qui, en plus, ont la finesse de savoir où s’arrêter, jusqu’où ne pas étirer leur principe jusqu’à lui faire perdre de sa force. Alice Rende, contorsionniste, a voulu se confronter – elle n’est d’ailleurs pas la toute première à le faire dans l’histoire du cirque – à un espace extrêmement réduit, une sorte de cage aux parois en plexiglas, très étroite et très haute, qui n’est ouverte qu’à son sommet. Introduite par une trappe dans cette colonne transparente en début de spectacle, elle va tenter d’atteindre le ciel vers lequel se porte son regard.
C’est le prétexte à une lutte contre la gravité, qui lui permet d’emprunter à quelques figures acrobatiques mais qui se retrouvent contraintes et figées dans cet espace où le mouvement est impossible, sauf à forcer le corps à se plier dans des positions désarticulées. En s’appuyant sur les parois, l’ascension est cependant possible – à vrai dire, beaucoup de choses s’avèrent possibles, y compris de bloquer le corps dans une position suspendue, à mi-chemin de la hauteur de cet étrange aquarium où l’humaine a remplacé le poisson. Les percussions sur les parois, le bruit de la peau qui frotte contre les vitres, sont repris par des micros qui les amplifient. Chaque seconde de cette lutte contre l’enfermement peut être suivie en détails, pleinement visible et pleinement audible.
La signification du spectacle est laissée parfaitement ouverte, de façon à inviter la subjectivité de chaque spectateurice. On ne sait même pas d’ailleurs si cette cage transparente est une prison ou un refuge, ni quelle est l’histoire de ce personnage énigmatique, sinon qu’elle aspire à s’affranchir des barrières qui l’enserrent. On peut difficilement éviter de penser au confinement durant le Covid, qui favorisait cette sensation étrange d’être enfermé·e sans l’être, d’être séparé·e du monde tout en le regardant évoluer de derrière sa fenêtre. Sauf que l’on n’est plus ici le·la prisonnier·ère, mais le·la voyeur·euse. Alice Rende est une captive dans un tube à essai, une captive exposée au regard, qui utilise la transparence de son dispositif scénique pour nous jouer les manifestations extérieures de sa lutte intérieure. Au-delà de ses contorsions et autres figures spectaculaires, c’est la palette des émotions qui passent sur son visage qui retient l’attention.
En outre, Passages est un spectacle qui peut jouer partout, intérieur comme extérieur, et qui interagit donc avec son environnement. La lutte de la circassienne pour s’extraire de sa cage na pas la même charge selon qu’elle se fait dans un jardin ou dans un musée, sur une plage ou sous un chapiteau restauration. C’est un dispositif ingénieux, tout terrain, qui permet à la performance de se réinventer à chaque fois. C’est un spectacle fascinant, troublant, qui est riche de beaucoup de nuances et de rebondissements malgré sa durée assez courte. Une excellente idée menée à bien par une artiste qui a parfaitement travaillé son sujet. Enthousiasmant !
Visuel : (c) Shirley Dorino