Brûler d’envies est le titre du spectacle de fin d’études de la 36e promotion du Centre national des arts du cirque (CNAC), mis en piste cette année par David Gauchard et Martin Palisse, et qui est programmé à la Villette jusqu’au 16 février 2025.
Radicalité dans l’esthétique, mais aussi dans l’écriture : voilà comment on pourrait résumer, d’un trait lapidaire, ce Brûler d’envies au titre possiblement trompeur. On serait tenté·e peut-être d’y entendre la fougue de la jeunesse, la passion indocile, la joie d’être au monde et de le ressentir… Il n’en est rien, puisque c’est un spectacle dystopique, froid, âpre que proposent David Gauchard et Martin Palisse. C’est une signature, la volonté de faire acte de création en trouvant une liberté dans les interstices du cahier des charges d’un spectacle d’école. Cela faisait quelque temps qu’on n’avait pas vu un geste aussi tranché dans un spectacle du CNAC. Comme les circassien·nes sont six seulement au plateau, cela laisse plus de marge pour composer à l’envi, car le spectacle s’acquitte facilement de la nécessité de proposer des soli pour permettre à chacun·e de montrer sa technique.
C’est âpre. C’est sombre. Le groupe n’est pas vraiment groupe, les solitudes se brisent en binôme pour se reconstituer très vite, il y a peu de joie, juste des corps à l’effort, la répétition des figures acrobatiques comme une routine hypnotique. Ici, pas de gestes d’amour, pas de regards complices ou bienveillants. Des interprètes loin du public, émotionnellement, peu accessibles. Même leur mise à l’agrès paraît retardée, contrariée. Iels sont placé·es sous une lumière blafarde, froide, qui souvent suffit à peine à repousser les ombres. Iels sont accompagné·es par une composition électro signée Pangar, tantôt minimaliste, tantôt puissamment pulsée, dont la présence continue tout au long du spectacle la rend franchement oppressante. La scénographie est dépouillée à l’extrême : les lumières, un mur de son, les agrès, point.
Le choix est fait dans Brûler d’envies de revenir au cirque pur. Il aurait été d’autant plus tentant de diluer que le nombre d’interprètes est faible. Pour autant, il n’y a pas de théâtralisation ; pas de tour de chant ; pas de concert improvisé en bord de piste ; même pas vraiment de danse, on lui préfère l’acrobatie pure ou les sprints. Contrepied total, donc, de ce qui se faisait ces dernières années. Ici, on casse les modes, on casse les codes, on revient à l’os, au squelette, au socle rocheux. Et malgré cela, on n’a tout de même pas échappé à une figure stéréotypée du spectacle du CNAC, celle du groupe de circassien·nes qui courent en rond autour de la piste – il faut dire que pour occuper le chapiteau et tenir l’énergie à six, il est peu question de prendre des temps de repos. A certains stéréotypes du spectacle vivant contemporain non plus d’ailleurs : la nappe de basses grondantes dans le noir en prélude, et les lumières stroboscopiques plus tard, pour ne pas les nommer. Mais, tout de même, quel coup de décapant !
Quant aux six circassien·nes, puisque c’est avant tout d’iels qu’il devrait s’agir, le spectacle restant un spectacle d’école, iels ne sont pas desservi·es par cette radicalité que l’on a soulignée. Iels ont toustes leur moment pour briller, et même, vu la durée du spectacle, plusieurs moments, qui leur permettent de bien mettre leurs savoir-faire en valeur. Iels se retiennent, ou sont retenu·es, de se livrer à de grandes prouesses spectaculaires : ici aussi les choses sont minimalistes, ce qui n’exclut pas la finesse technique, bien au contraire, et une endurance à toute épreuve. Avec deux machinistes, Antonin Cucinotta et Uma Pastor, difficile de ne pas proposer des duos. Jaouad Boukhliq propose un numéro d’équilibres sur cannes d’une grande finesse, et se révèle doué pour les acrobaties en général – et son solo est l’occasion d’entendre parler marocain sous le chapiteau, une occurrence rare. Heather Colahan-Losh montre à de nombreuses reprises sa maîtrise de la corde lisse, plutôt solo mais dialoguant parfois avec les acrobaties au sol de Marine Robquin. Mano Vos quant à lui propose une approche personnelle de la Roue Cyr, faite avant tout d’équilibres, loin des évolutions habituelles.
En somme, Brûler d’envies est un spectacle de cirque contemporain très écrit, avec des choix très affirmés, servi par une distribution qui a su ranger sa sympathique joie de vivre pour se mettre au service d’un projet de mise en piste froid et sombre. Un spectacle qui restera sans doute dans les mémoires.
Visuel Christophe Raynaud de Lage