Elle se balade dans nos playlists depuis 2021 avec sa pop électro réflexive, mais Yoa a frappé d’un grand coup l’année dernière en sortant son deuxième EP, Nulle, et en marquant de son style la scène du mythique Trianon. Deux actes forts et fondateurs qui ont déroulé le tapis rouge à son premier album, plein de hits, La Favorite, qui sort ce 31 janvier.
« La Favorite » est « celle qui est – pour quelqu’un – objet d’une préférence marquée ». Telle est la définition du dictionnaire. Pour l’annonce de son album, Yoa nous a donné une autre définition : « La Favorite, c’est celle qui se bat pour faire sa place, celle qui est pleine d’assurance le jour et qui doute la nuit, celle qui se mue sans se travestir ». On pense alors à Athénaïs de Montespan et à Madame de Pompadour, à Madame de Maintenon et à Jeanne du Barry. On se dit que la définition de la chanteuse leur rend bien plus hommage. De ses femmes, elle a le style et l’impertinence, la fragilité et les froufrous, l’audace sans carapace.
Son armure, Yoa la fissure de ses chansons depuis ses débuts. Attente, son premier EP sorti en 2021, est posé, tout en ballades, calme et vaporeux comme les larmes lourdes de la jeunesse. Elle y parle de ses rêves et de ses amours déçues, de sa chambre d’adolescente où se pâment ses rêveries d’enfant. Il renferme déjà l’essence de ses textes et les accents de sa voix, des marqueurs qui se sont aiguisés avec Chansons (+) tristes (2023) qui laisse, avec ses mélodies plus entrainantes, plus feuilletées et ses textes crus, d’avantage d’espace à l’intimité de ses traumas. Il est facile de parler de la génération santé mentale, mais cet EP, sorti après le confinement, expose l’état de la psyché et des préoccupations personnelles de la gen-Z.
Si La Favorite est le prolongement de tout ce projet artistique, il est l’héritage de son dernier EP avec Nulle (2024) qui affirme son style pop décalé de queen au mascara coulé, jouant de ses facettes. Elle est une queen qui joue avec les cœurs de ses prétendants si instable et indécise soit-elle, une queen qui a parfois « Besoin de toi ». C’est toutes ces complexités et ces ambivalences de la vingtaine qui s’expriment dans La Favorite, les mêmes que celles des préférées de la Cour de Versailles qui ont dû traverser les siècles… « Sad girl – Crying – Poor thing, crashing every party » … On est autant dans le salon de notre meilleur·e ami·e que dans une rave, à Versailles que dans un hangar.
Ces dernières années, nombre d’albums ont refait la part belle à l’écriture d’une histoire, se sont bâtis sur des trames. « Les mêmes erreurs » nous fait pousser, en introduction, les portes de sa galerie des glaces. On y trouve, comme dans la plupart des mélodies, ce quelque chose du vertige. Les mélodies, tant lancinantes que langoureuses, viennent chercher au creux du bide un écho et au fond des yeux des images. Yoa étale ses préoccupations, posant des mots ajustés, « met du sparadrap sur {les} cœur{s} en ruine ». De pistes en pistes, on déambule dans sa galerie. Chaque morceau est un miroir différent qui dresse le portrait d’un malaise générationnel si intemporel… « 2013 », « Matcha Queen », « Nulle ».
Yoa est la « Princesse chaos » présente en chacun·e de nous, qui se débat entre troubles du comportement alimentaire et dysmorphie, peines de cœur et sentiment généralisé d’insécurité, qui peut compter sur ses copines, et qui parfois les perd. Deux odes à l’amitié comme on n’en a pas entendu depuis longtemps. Sur le parquet, face au miroir, avec « Mes copines » et ses teintes électro métalliques, on expie. Au fond de son lit, à « Contre-cœur », on pleure ces ami·es qui ne sont plus dans nos vies, des ruptures qui font parfois plus mal que les amours amoureuses évanouies. Yoa est une princesse qui cherche les mots, qui a l’honnêteté de dire que parfois elle ne les trouve pas, que l’on peut « confondre je t’aime et je suis désolé·e »… comme un écho à sa « Chanson triste »… « je t’aime je t’aime je suis désolé·e »… deux locutions qui veulent parfois dire la même chose, que l’on mélange, que l’on a tant de mal à dire.
On ne s’aventurera pas à dire que Yoa n’a pas peur de dire les choses (qu’est-ce que l’on en sait ?) mais on est persuadé·e que la musique la porte. Ses mélodies nous trémoussent et font glisser ses mots. Elles lui permettent d’éclater l’hétéronormativité (« Héros ») et de parler des violences sexuelles (« Le collectionneur »). Pour ce faire, elle sort la guitare et le clavier, crooneuse moderne chic. Elle peint un décor de slow et défait les chevaliers de leurs armures. Elle murmure : ne soyez pas des héros comme on vous l’a appris car nous ne pouvons pas être la princesse que l’on vous a vendue. Aussi, elle plaide. Elle couvre de sa voix. Elle chante le viol. Elle le nomme.
Dans la douceur de sa voix qui nous fait avaler tous ces mots et couler les larmes réside sa force. Sa capacité à nommer nos facettes nous diffracte comme les miroirs multiples, et ses proses sur les histoires d’amours en sont peut-être l’exemple le plus puissant. Tantôt on pose des « Bombe{s} », on fait du mal, tantôt on est des chipies, façon dis-moi oui, Andy !, tantôt on est la fleur la plus bleue du bouquet, auditeurice de chansons d’amour. Mention spéciale (et crush intersidéral) pour son « Là bas part. 2 », qui prend la suite d’un précédent morceau. Il contient toute l’agitation, tout le tourbillon de la post-rupture. La sonorité électro salie de grésillements, du bruit assourdissant qui résonne dans ces moments où l’on perd l’équilibre, de Olivia Merilahti colle magistralement avec le texte dans une envolée de désespoir déchirante.
Projet plus qu’abouti, La Favorite est l’argument majeur pour que Yoa soit auréolée le 14 février prochain du titre de Révélation féminine lors des Victoires de la musique. On espère que sa sincérité, à défaut d’être la favorite des dieux, sera celle du jury, que cette récompense la convaincra qu’elle peut écrire la suite, qu’elle n’a pas besoin de prendre la fuite, que toutes les favorites de l’Histoire se sentent peut-être, un peu, réhabilitées par ce morceau d’elle qu’elle nous livre. On a confiance, en la suite.
La Favorite, disponible sur toutes les plateformes le 31/01/2025.
En tournée dans toutes la France.
Yoa est nommée aux Victoires de la musique dans 2 catégories : révélation féminine et révélation scénique.
(c) couverture de l’album