« Vers une science sociale du vivant » de Bernard Lahire : Sciences de tous les domaines, unissez-vous !

Publié en 2023, Les Structures fondamentales des sociétés humaines (SFSH), un pavé de mille pages, marquait une étape importante en sciences sociales. Comme le dit lui-même Bernard Lahire, le livre « se situe au croisement de Darwin (L’Origine des espèces et La Filiation de l’Homme [1871]) et de Marx ». Le livre faisait ressortir de grandes lois des sociétés humaines, en prenant en compte le vivant dans son global (et donc en comparant les sociétés humaines avec les sociétés animales). « L’histoire des sociétés humaines n’est que la continuation de l’histoire naturelle par une espèce particulièrement culturelle. » Bien accueilli, le livre a suscité des débats, des questions et quelques controverses. Les éditions La Découverte proposent donc de revenir sur les propos de Bernard Lahire dans ce livre d’entretiens entre le directeur de recherche CNRS et Laure Flandrin (maîtresse de conférences en sciences sociales à l’Ecole Centrale de Lyon, membre du Centre Max-Weber de Lyon) et Francis Sanseigne (docteur en science politique).

« Les scientifiques ne sont pas vraiment des ambianceurs ! »

Dans un premier chapitre, Lahire revient longuement sur son parcours, et sur sa vocation de sociologue (« J’avais un besoin viscéral de comprendre pourquoi le monde social était ce qu’il était »). Dans les second et troisième chapitres, l’auteur parle longuement des sciences sociales en tant que sciences, et de la nécessité pour elles de s’ouvrir à tous types de sciences (biologie, physique, éthologie…) dans un « effort de synthèse créatrice ». Lahire met aussi en garde contre l’accumulation de monographies qui empêchent de dégager des enseignements généraux, et contre les discours verbeux proches de l’enfumage (« Derrière une écriture chatoyante, souvent métaphorique, et parfois même alambiquée, comme derrière l’écran de fumée de tous les préliminaires déployés sous prétexte de réflexivité, on peine parfois à voir la réalité, celle des faits, des mécanismes sociaux et des grands principes de fonctionnement. »).

Le quatrième chapitre, « La combinatoire des grands faits anthropologiques, des lignes de force et des lois », revient précisément sur les SFSH tandis que le cinquième cherche à répondre aux critiques et lever les malentendus. Lahire se félicite de la bonne réception de son ouvrage, liée selon lui à des sentiments d’urgence écologique et d’angoisse qui « font remonter ces interrogations plus fondamentales ». Rendant hommage à Grothendieck, Lahire cherche à expliquer « comment on enquête en sciences sociales « après ça » » dans le dernier chapitre, mettant l’accent sur la nécessaire simplification plutôt que la multiplication des catégories et des sous-catégories. Bernard Lahire en profite pour épingler « cette prétendue « révolution » anthropologico-philosophique à laquelle sont associés les noms de Bruno Latour, Philippe Descola ».

Vers une science sociale du vivant se lit parfaitement sans avoir lu SFSH. Par la langue claire de Bernard Lahire, il constitue même une bonne porte d’entrée avant de se lancer dans le pavé paru il y a deux ans. Plus globalement, l’approche de Lahire se révèle très concrète et la réflexion appuyée par de nombreuses lectures (Marx, Passeron, Héritier…).