Nina Bouraoui : Pour l’amour d’un père
par Jean-Marie Chamouard28.01.2024
Dans Grand Seigneur Nina Bouraoui raconte les derniers jours de la vie de son père, admis en soins palliatifs. Des adieux douloureux qui témoignent de l’ amour qu’elle portait à son père, ce grand seigneur.
Une écrivaine au chevet de son père
«Mon père est entré en soins palliatifs à Jeanne Garnier le 28 Mai 2022». Alors elle passe toutes ses après-midi à son chevet dans la chambre 119. Un lieu de douleur mais aussi de calme et de douceur. Le corps de son père gît immobile, il est sédaté et ne parle presque plus. Pour l’autrice cette confrontation à la fin de vie va être une «aventure» inédite et douloureuse, deux mondes se mélangeant en elle, celui des couchés et celui des debout. Alors débute une longue introspection. Elle revoit son enfance algérienne, jusqu’à son arrivée en France vers l’âge de 13 ans. Des racines qui risquent de s’étioler car après le départ de son père «les branches et les fleurs de mon arbre généalogique algérien vont tomber». Elle aborde longuement ses relations avec son père, ce héros, ce grand seigneur. Il portait l’identité de la famille. Haut fonctionnaire, directeur de la banque centrale d’Algérie, il a ensuite connu la disgrâce. En 1990, à 56 ans sa carrière s’est arrêtée alors que son pays sombrait. Il était souvent absent du fait de son travail et ses moments de présence étaient intenses. Nina Bouraoui le décrit comme un homme droit, d’une grande dignité qui lui a tout appris, qui a su respecter sa féminité particulière. Alors sa soudaine fragilité est pour elle une défaite car «perdre son père c’est perdre une partie de son toit».
Un texte d’une grande sensibilité
Il s’agit d’un très beau livre. L’écriture de Nina Bouraoui est noble, somptueuse. Elle emploie de longues phrases au rythme ample, fluide. Les images et métaphores poétiques sont nombreuses. «Les mots de son père résonnaient en elle comme un poème» et elle a les a insérés dans le texte sous la forme de courts poèmes. La véracité de l’expérience est frappante, en particulier dans les petits détails d’un quotidien vécu à Jeanne Garnier. Elle décrit ainsi sa peur en arrivant de ne pas retrouver son père dans sa chambre, les visites interrompues par les soins, ou la bouleversante image de sa mère étreignant le costume de son mari ramené en prévision des obsèques. Dans ce récit très personnel Nina Bouraoui parle de sa colère contre la mort, une colère qu’elle partage avec son père. Elle a longtemps refusé l’inéluctable mais ce refus est aussi une preuve de son amour de la vie. C’est surtout une grande déclaration d’amour pour son père, l’homme dont elle est le plus proche, «son seul ami» disait-elle. Un amour qui conduit à cette interrogation: est ce que les filles peuvent vivre sans le regard des pères?
Pendant le séjour de son père à Jeanne Garnier elle ne pouvait pas écrire, l’écriture aurait eu l’effet d’un poison. Par ce récit, Nina Bouraoui a sublimé son deuil nous offrant ainsi un texte intime, poétique, bouleversant.
Nina Bouraoui, Grand Seigneur, éditions J.C. Lattes, 250 pages, 20,9 Euros, sortie le 03 01 2024
Visuel (c): couverture du livre, éditions J.C.Lattes
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