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05.10.2024 → 15.12.2024

Sous les plans, la vi(ll)e

par Laetitia Larralde
10.10.2024

En lien avec le thème des Rendez-vous de l’histoire de Blois de cette année, la ville, la Fondation du doute nous propose des pistes pour se réapproprier cet espace, façon guérilla urbaine, mais discrète.

L’art et la ville est un sujet tentaculaire et polymorphe, beaucoup trop imposant pour les modestes 200 m² de l’espace d’exposition temporaire de la Fondation du doute. Ainsi, le propos s’est resserré autour d’une question toujours actuelle : comment les habitants humains de la ville peuvent-ils s’approprier l’espace public ? Dans un parcours réunissant une sélection d’œuvres et de documents d’une quarantaine d’artistes issus des collections du Centre Pompidou (Paris), du Frac Centre-Val de Loire (Orléans) et du Centre des livres d’artistes (Saint-Yriex-la-Perche), l’exposition propose un bel échantillon d’appels à la révolte contre le cadre urbain imposé, des années 1950 jusqu’à nos jours.

 

Lorsque l’on regarde les plans d’urbanisme modernes qui organisent la ville, ses circulations et ses usages de façon rationnelle et d’un point de vue surplombant, on peut se demander si ces théoriciens ont prévu que la ville soit habitée par une foule hétérogène aux conduites pas toujours prévisibles. Certains utopistes ont même poussé leur planification dans le but d’orienter les comportements, que ce soit dans l’optique d’améliorer la vie des habitants, ou celle de les contrôler. Il faut néanmoins se rendre à l’évidence qu’une opération de promotion urbaine a besoin de la patine du temps et de l’usage pour infléchir ses principes souvent trop manichéens vers les utilisations réelles des occupants. Et si la ville y résiste, cela signe l’échec de l’utopie.

 

L’artiste fait souvent partie de ces habitants qui ne rentrent pas dans la case dessinée par les urbanistes. Certains ont cherché, et aujourd’hui encore, à utiliser l’art comme un outil pour agir sur la ville, pour modeler leur écosystème et le rendre plus facilement vivable, habitable. Et l’enjeu est de taille, car l’environnement dans lequel on vit a un impact sur nous, et réciproquement. Mais pas question d’utiliser les mêmes armes que les planificateurs : ici, on se confronte à l’existant, on utilise les matériaux que l’on trouve, on reprend les codes des manifestations sociales. La résistance se mène par un travail de sape discret, utilisant les failles et les interstices de la ville pour y semer les graines du changement.

 

La ville est trop souvent considérée comme un lieu de démonstration de pouvoir, avec ses grands monuments, ses larges avenues, et son stock inépuisable de travailleurs corvéables à merci. Il faut y faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour se ménager une place à son image, développer son identité unique et se faire entendre, à base de détournement, de braconnage, de guérilla urbaine. On se bricole un espace de liberté sous la couche du plan officiel, où l’on peut flâner et oublier l’injonction à la performance et à la productivité. Ne pas utiliser la ville comme un outil, mais la ressentir, l’investir et la partager.

 

L’art vient alors comme un signal perturbateur, qui accroche le regard, tel que les cellules en plastique qui s’accrochent aux fenêtres d’immeuble, les affiches qui habillent les murs de leurs slogans, ou encore des cartes postales de l’Arc de triomphe en slip. Les interventions sont souvent éphémères, des happenings dont il ne reste que des traces en vidéo, mais viennent déranger l’uniformité de l’architecture et mobiliser les usagers de l’espace urbain, allant jusqu’à les transformer en acteurs de la performance. Ici, chaque geste, déviation ou détournement participe à dessiner la place de l’humanité dans la ville.

 

Mais comme ces graffitis que Brassai a capturés, certaines interventions sont extrêmement discrètes, se fondent parfois dans le paysage déjà chargé. Alors, pour ne pas manquer ces signes qui indiquent les voies de traverse, parcourons la ville les yeux grands ouverts, et n’hésitons pas à quitter les chemins tous tracés.

Critique de la ville quotidienne

Du 05 octobre au 15 décembre 2024

Fondation du doute – Blois

 

Visuels :

1- Cathryn Boch, Sans titre, 2019 – Détail – Plan urbanistique plastifié, carte topographique, photographies aériennes Mathieu Collin, vues aériennes colorisées, impression plastique, calque jaune, couture machine, couture main. Citation Jacques Ranciere – 113 x 282 cm © Cathryn Boch, 2024 – Photo : Jean-Christophe Lett

2- Vue de l’exposition « Critique de la ville quotidienne » [5 octobre au 15 decembre 2024] – Fondation du doute, Blois – Photo : Nicolas Wietrich – Ville de Blois

3- Guy Debord, Guide psychogéographique de Paris. Discours sur les passions de l’amour, 1957 – Lithographie – Tirage sur papier – 59.5 x 73.5 cm – inv. 000 00 01 – Collection Frac Centre-Val de Loire, Orléans / Photo : Fr. Lauginie

4- Nefeli Papadimouli, Étoiles partielles, 2023 – Vue de l’exposition « Critique de la ville quotidienne » [5 octobre au 15 decembre 2024]– Fondation du doute, Blois – Photo : Nicolas Wietrich – Ville de Blois

5- Haus-Rucker-Co, Pneumacosmic Formation, 1971 – Sérigraphie – Impression sur papier – 73,5 x 57 cm – 003 01 01 – Collection Frac – Centre-Val de Loire, Orléans © ADAGP, Paris, 2024