Lise Haller Baggesen transforme l’espace du Bicolore en un manifeste vibrant, invitant à une métamorphose sensorielle et poétique. Une immersion chromatique où la couleur devient un acte de résistance.
Il y a des expositions qui se vivent comme une déflagration douce, qui éclabousse l’espace et le regard. ChromAmour : une métamorphose est de celles-là. Sous le commissariat de Kathy Alliou, l’artiste danoise Lise Haller Baggesen, pose un manifeste visuel contre la morosité du monde. À travers une scénographie immersive où flottent des robes métamorphosées en sculptures, elle célèbre une réconciliation avec la couleur, cette énergie vitale qui réveille tous nos sens.
Dès l’entrée, les couleurs se déploient, ruissellent sur les murs, s’accrochent aux tissus suspendus. Les robes peintes de l’artiste deviennent des entités flottantes, vibrantes, comme des chrysalides prêtes à éclore. Elles nous happent dans une autre dimension où la lumière épouse la matière, où les pigments se confondent en une danse mouvante. ChromAmour est une fête du regard et du toucher, une invitation à se perdre dans un monde où la couleur retrouve ses pleins pouvoirs.
Les silhouettes textiles évoluent dans l’espace, incarnant cette transition perpétuelle entre l’humain et son environnement. On les observe, mais elles nous scrutent en retour. Sommes-nous vraiment prêts à accueillir la couleur dans nos vies ?
L’exposition trouve son origine dans un moment de repli forcé. En 2020, confinée à Chicago, Lise Haller Baggesen s’est tournée vers ce qu’elle avait sous la main : des tissus trouvés en friperie, des robes abandonnées, du pigment. De cette nécessité est né un geste instinctif, un dialogue entre la peinture et la matière textile, entre l’intime et l’universel.
Les œuvres deviennent mouvantes, performatives. Elles ne sont pas figées dans un cadre, mais se métamorphosent selon leur assemblage, selon celui ou celle qui les porte, ou les expose. Une robe n’est pas seulement une robe : elle est une histoire, un cri, une promesse de renouveau.
En écho à ces pièces textiles, l’exposition présente également une série de tableaux aux couleurs vibrantes, où des slogans poétiques et des fragments de chansons se mêlent aux pigments éclatants. Ces toiles, à la fois palettes de couleurs et manifestes chromatiques, dialoguent avec les sculptures suspendues, tissant une narration où la couleur devient langage, où l’abstraction rencontre l’intime.
Derrière cet éclat de nuances, il y a une réflexion plus profonde sur notre rapport à l’image et à la perception. L’artiste s’appuie sur la pensée du philosophe Emanuele Coccia, qui voit le vivant comme une succession infinie de métamorphoses.
La couleur, dans son essence, défie les formes. Elle se glisse dans les interstices, déborde, s’affranchit des frontières. Contrairement au noir et blanc, qui impose un cadre strict et autoritaire, la couleur ouvre des espaces, des promesses, des rêves encore non écrits.
Comme le dit l’artiste : « Fermez les yeux et tournez la tête vers le soleil : vous êtes de retour dans l’intériorité océanique de l’utérus. Ouvrez-les à nouveau et plongez dans l’abîme bleu du ciel. Ce n’est pas vous qui faites la magie, c’est vous qui êtes la magie. »
ChromAmour est un appel à lâcher prise, à embrasser cette part d’inconnu où tout devient possible.
À la sortie, on ne quitte pas l’exposition tout à fait indemne… On emporte avec soi cette énergie diffuse, ce frisson de révolte douce qui nous incite à regarder autrement. Et si la couleur était la clé qui nous donne accès à un autre monde ?
« Nous sommes prêts à ce que la couleur revienne sur nos joues et dans nos rues. » nous dit Lise Haller Baggesen en nous tendant un miroir coloré : à nous de choisir comment nous voulons y plonger !
ChromAmour au Bicolore, Maison du Danemark, Paris. Du 7 février au 30 mars 2025.
Visuels : © Le bicololore – Pierre Antoine