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Téléréalité : une façon de faire société ?​​​​

par La redaction
16.11.2024

Cette semaine, nous nous sommes arrêté·es sur le genre de la télé-réalité, omniprésent et méprisé, qui s’insère de plus en plus en culture…

Les États-Unis se préparent à une « saison 2 » de la présidence de leur pays par Donald Trump, personnage principal pendant dix ans de la téléréalité The Apprentice sur NBC. De son côté, la France célèbre les 20 ans de la téléréalité en se remémorant le choc et les émois de la première saison de Loft Story. On retrouve Loana, Steevy … et les coulisses de leur mise en avant dans la très bonne série Culte. On a beau rejouer le match de la piscine, se poser la question des limites de la pornographie avec Frenchie Shore ou se demander encore et toujours quel éloge du vide font ces studios qui propulsent des « gens » pour quelques semaines de « fame » tonitruante, en 2024, la téléralité est un pan entier de notre socialisation et de notre pop culture.

 

 

Et à y regarder de plus près, on descelle deux formats principaux assez intéressants, et souvent au cœur de nombreuses productions culturelles : l’enfermement et la survie. Pour la survie : la série de films Hunger Games avait élevé la téléréalité au rang de mythe en la confrontant à celui du Minotaure et en nous fléchant les stars hollywoodiennes des quinze dernières années ; plus récemment, sur Canal +, le Loup-Garou de Panayotis Pascot et Fary transmue le célèbre jeu de société en téléréalité grandeur nature. Bonjour l’enfermement ! À côté de cela, Koh-Lanta se décline, toujours plus faussement exotique, et la Star Ac’ et son château continuent à propulser des talents. Beaucoup de créateurs et créatrices en sont sorti·es, de cette téléréalité, à l’image de Afida Turner, qui a profité de la réputation gagnée au sein du programme Loft Story, pour faire des albums et se faire une vie aux USA. Aujourd’hui, le format même de l’émission dansante du samedi soir a été transformé pour passer de Sacrée Soirée à une immersion/identification avec les héroïnes de Drag Race ou de Danse avec les stars.

 

 

Alors, évidemment, la diffusion de l’information en 2025 est différente : les écrans mobiles ont remplacé ceux du salon et les audiences des téléréalités ont baissé, au point que des émissions emblématiques comme Les Princes et les Princesses de l’amour ou encore Les Marseillais ont été déprogrammées. Mais la conjonction des deux objectifs – mettre en exergue le quotidien de quidams en les mettant au défi d’être « choisi·es », et démultiplier la sphère publique qui fait d’eux et d’elles des stars à travers les médias sociaux – transforme durablement notre relation au monde.

 

 

C’est ce que montre bien le très beau premier film d’Agathe Riedinger, Diamant Brut, qui sort mercredi en salles, après être passé par le Festival de Cannes. Son portrait d’une millennial née avec la téléréalité, et pour qui l’ultime objectif est d’en intégrer une, est stupéfiant. Quant à la sérieLes enfants sont rois, elle ajoute au cocktail la réalité de notre capitalisme et le sacrifice des générations à venir. C’est un peu sombre et cela fait réfléchir plus que jamais sur la manière dont notre société du spectacle nous objectifie.

 

 

Du côté des arts plastiques, dans la ligne de Koons et la Cicciolina, les égéries de la téléréalité ont inspiré les artistes à l’image de ce qu’ont produit d’autres idoles : Pierre et Gilles ont immortalisé Zahia, et Andy Picci a dédié une série à Nabilla.

 

 

En littérature, eh bien, la téléréalité cherche sa réhabilitation. Beaucoup de candidats, de Jeremstar à Nabilla, sans oublier Loana, ont publié des pans de leur histoire, pour se la réapproprier, dire leur vision, leur vérité. D’autres ont cherché à comprendre le phénomène : Aurélien Bellanger avec son Téléréalité (Gallimard, 2021), puis les journalistes Valérie Rey-Robert et Constance Vilanova qui ont respectivement publié Téléréalité : la fabrique du sexisme (Hachette, 2022) et Vivre pour les caméras (JC Lattès, 2024).

 

 

Étonnamment, le champ du spectacle vivant ignore ce phénomène, alors qu’il est extrêmement poreux à l’époque. Les questions écologiques et identitaires fleurissent, mais aucun·e metteureuse en scène n’a fait de spectacle sur l’un des programmes cités plus haut. C’est étonnant, car on imaginerait bien une saga autour des Kardashian sur scène… En revanche, le monde des influenceurs et des influenceuses est très souvent pointé du doigt. Par exemple, en ce moment, à la Ménagerie de Verre, où se tient le festival Les Inaccoutumés, on peut voir Where the fuck am I ? de Zoé Lakhnati et Per-Andres Kraudy Solli. Iels s’amusent d’un scroll « en vrai » en convoquant les tutos beauté de TikTok. On pense aussi aux spectacles, comme ceux de Marion Siéfert, qui utilisent Instagram (_jeanne_dark_) ou les jeux vidéo (Daddy), mais cela n’est pas une référence directe au monde de la téléréalité… Alors, on se trouve comme si ce monument de pop culture, omniprésent depuis 20 ans, échappait à l’expérience de la catharsis.

 

 

Alors que pas mal d’ancien·nes de la téléréalité s’improvisent non seulement femmes d’affaires mais aussi chroniqueureuses, et alors que, par les temps qui courent, abreuver des milliers de followereuses a autant (si ce n’est plus) d’influence et d’impact que les réflexions et les œuvres, quelles leçons pouvons-nous tirer, nous médias, de ces 20 ans de téléréalité ?

 

 

Nous n’avons pas exactement la réponse, mais nous imaginons qu’elle doit se situer, comme souvent, dans un interstice. Elle se trouve certainement quelque part entre l’omniprésence et l’évitement d’un certain mépris envers cet objet et ces figures qui fascinent, et l’envie (autant que le devoir) de mettre en avant dans nos pages des héros et des héroïnes qui proposent des œuvres inspirantes, qui ouvrent des horizons, et proposent des réflexions. Il ne reste plus à la culture qu’à s’emparer de ce champ inexploré pour créer !

 

Bonne semaine à toutes et à tous,
Yaël, Amélie et Laura