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Garder Jean-Louis Murat près de nous

par La redaction
05.06.2023

« Tant la vie demande à mourir / Et tant la vie demande à aimer / Je ne peux aimer mourir / Ayalaha ah ah… », chantait Jean-Louis Murat dans le double album Lilith (2003). La mort qui hante, qui rôde et colore d’une ombre douce les bords du Lac de Guéry.

Il est vain d’écrire sur Jean-Louis Murat, les paroles résonnent d’elles-mêmes, imprimant leur marque indélébile. « Ma tristesse est un monde ancien, un monastère tibétain / Une jonque pleine d’œillets, prête à chavirer » (dans « Sentiment nouveau »). De cette tristesse qui appelle, lancinante et tendre, Jean-Louis Murat tirera les plus belles plaintes, animales, blessées : « Le parcours de la peine continue aujourd’hui jusqu’en ma chair », « Oh dis-moi, quel est le bon, le mauvais ? Que puis-je croire ? », scande-t-il alors dans le refrain. Dans le même album, « Le Manteau de pluie du singe » (1991), l’amour est célébré comme le remède souverain et le penchant fatal qui nous plonge dans La Maladie d’amour (2003) : « Cours dire aux hommes faibles comme moi qu’il n’y a rien à chanter / Ni le coup de rein ni l’effroi de la bête entravée » (Cours dire aux hommes faibles, 1991).

Les épiphanies

Tiens, voilà l’amour qui passe, qui vient nous prendre au mot… »On the rocks, mon aimée » (« L’amour qui passe », dans Le Moujik et sa femme, 2002). A la manière des saisons, l’amour passe, se laisse attraper, puis s’enfuit en douce. On le laisse s’échapper, heureux de l’avoir fréquenté, un court instant. Chez Jean-Louis Murat, la beauté s’invite par surprise, capricieuse. De ces épiphanies, on ressort reconnaissant. Ce qui n’est pas donné est perdu…

Dans ce Parfum d’acacia au jardin (2004), magnifique album en public un peu méconnu, Murat chante la folie, les choses qui dérapent : la chanson « La petite idée derrière la tête », où l’on a aperçu une voiture garée sur une place à 10h06, au moment où la petite idée derrière la tête nous a souri, poussant à disparaître. Fuite, suicide, meurtre, qui sait ? Ces instants où quelque chose bascule. « 16h, qu’est-ce que tu fais ? » dans l’album Le cours ordinaire des choses (2009) manifeste cette angoisse du temps, des heures d’amour que l’on décompte. Ou bien la mélancolie tenace et délicate de « Plus vu de femmes », « Nous laisser aussi seuls aux commandes de la tendresse / De femmes / Nous laisser si sots », en duo avec la chanteuse Camille.

Les mélodies imparables de Mustango (1999) nous hantent naturellement. « Jim – L’Héritier des Flynn », « Mustang », « Polly Jean », « Belgrade », « Nu dans la crevasse », autant de chansons, autant d’évidences. « Nu dans la crevasse, je trouve dégueulasses tous mes souvenirs / Hier à la poste, j’avais une mine atroce, mais que font les gens ? »

L’humour n’est jamais bien loin

L’humour n’est jamais bien loin. Au cœur des tourments, la désinvolture l’emporte, irrésistible. Interjections, petits cris d’animaux ou d’enfants, voix sublime qui se permet tous les gargouillis, cris dans « Le chant du papillon », miaulements et feulements dans « La chatte » (exceptionnel album 1829, avec des textes de Béranger), bougonnements dans « Vaison-la-Romaine » (Le Moujik et sa femme, 2002). Ou ce très amusant « Mashpotétisés » (« Du bon boulot, gougnafiers / Allez twist à Saint-Tropez ») dans A Bird on a poire réalisé avec le musicien Fred Jimenez.

« Dans ce monde oublié, ce royaume enneigé, j’éprouve un sentiment profond / Un sentiment si lourd qu’il m’enterre, oh mon amour / Je te garderai » (« Col de la Croix-Morand », 1991). Pour la vie qui nous reste, Jean-Louis Murat, nous te garderons.

Visuel (c) Wikipedia Commons