Au 104 de la Maison de la Radio, ce samedi 1ier février, la metteuse en scène Charlotte Lagrange revisite la célèbre fable musicale d’Igor Stravinsky et Ramuz, L’Histoire du soldat. Entre théâtre populaire et poésie symboliste, le jeu d’Eric Ruf et Constance Larrieu autour des huit musiciens insuffle une nouvelle vitalité à cette œuvre tous publics.
Exilé en Suisse en pleine Première Guerre mondiale, Igor Stravinsky continue d’explorer le répertoire populaire qui l’inspire. Avec la complicité de l’auteur helvète Charles-Ferdinand Ramuz, il expérimente avec L’histoire du soldat (1917), une œuvre à mi-chemin entre le théâtre et la musique. L’histoire est simple et puissante : un soldat a quinze jours de permission. Sur son chemin, un peu comme Faust, il croise le diable à qui il cède son violon, et toute son attention, à 10 sous du soldat contre un livre qui rend riche… La fable commence, où le texte s’immerge dans de la musique folklorique, militaire et des influences venues du jazz et du tango.
En plaçant le texte au cœur de son travail, Charlotte Lagrange mise sur le charisme d’Éric Ruf (le diable à magnifique veste rouge) et sur l’agilité de Constance Larrieu (on aime que le soldat soit une femme au visage chagallien). Dès la marche inaugurale, les kilomètres sont là et le public est pleinement mobilisé. Les incantations et répétitions d’expressions fonctionnement comme des cantillations et à temps, on a l’impression que les six musiciens chantent. Le texte s’infiltre ainsi jusqu’au cœur de la musique de Stravinski, et les 7 musiciens dirigés par David Mollard Soriano n’hésitent pas à intrepréter des personnages, et à se transformer en cœur. Le violoniste Laurent Manaud-Pallas et Constance Larrieu prennent plaisir à jouer en écho sur leur violon, incarnant cette circulation intense entre les mots et la musique. Le 104 devient pour les spectateurs de 7 à 97 ans un véritable théâtre de tréteaux, où chaque élément du décor et du plateau est exploité pour plonger le public dans une œuvre musicale, qui a aussi ses moments d’ambiguïté et sa morale, très frappante.
L’alternance entre des moments d’une grande épure poétique et d’autres, plus picaresques et folkloriques, donne à cette mise en scène un dynamisme particulier. Éric Ruf s’en donne à cœur joie pour nous impressionner de machiavelisme, et chez les deux comédiens, la danse y occupe une place de choix. Les jeunes spectateurs s’émerveillent devant la puissance des voix et des instruments, et se laissent séduire et emporter par les motifs récurrents qui rythment l’œuvre.
Alternant entre des moments de symbolisme plein d’épure (on adore la princesse, sans vous en dire plus !) et des extraits plus triviaux, cette version intemporelle L’Histoire du soldat parvient à conserver toute sa force morale et philosophique, tout en la rendant accessible à un large public. Grâce à un travail d’une grande précision entre musique et théâtre, le spectacle laisse une empreinte durable et fait longuement réfléchir.
visuel (c) YH