Dans une pièce saisissante, Marie Fortuit donne vie au texte de Violette Leduc Thérèse et Isabelle extrait de son ouvrage Ravages, censuré à sa publication en 1954. Ce roman raconte l’histoire de deux collégiennes qui tombent passionnément amoureuses l’une de l’autre, témoignant avec poésie et authenticité d’un premier amour lesbien, chargé de désir et de passion.
Violette Leduc apparaît sur scène, interprétée par la comédienne Raphaëlle Rousseau, de dos, lisant une lettre adressée à Simone de Beauvoir. La remerciant de lui avoir donné la force et l’audace d’écrire son œuvre. Puis, au rythme léger et sautillant du piano, la romance incandescente des deux adolescentes démarre. Isabelle arrive sur le plateau et Violette devient Thérèse. Une routine stricte s’installe, dans une obscurité froide : cirer ses chaussures, se déshabiller, se coucher, se réveiller, étudier, se revêtir… Les décors et les costumes, évoquant les années 1950, plongent le plateau dans l’atmosphère d’un pensionnat rigide et contraignant.
Au départ, tout semble séparer les deux protagonistes, interprétées avec finesse par les comédiennes. Malgré une différence sociale qui les éloigne l’une de l’autre, une alchimie se tisse peu à peu entre elles. La mise en scène capture la beauté d’un désir naissant, sans jamais verser dans l’excès. Représenter une sexualité lesbienne, première, bouillonnante, est un pari réussi pour la pièce de Marie Fortuit. Les étreintes sont irrésistibles, les caresses indispensables, les courses haletantes, et le manque insoutenable. La force de ces moments en suspens, de ces nuits interminables saisit le public. Mais tandis que la sensualité s’empare de ces adolescentes pleines d’ardeur et en soif d’indépendance, l’autorité des adultes finit par les séparer.
À la mise en scène réalisée avec finesse s’ajoute un paysage sonore accompagnant avec justesse et sensibilité Thérèse et Isabelle dans leur odyssée embrasée. Lucie Sansen incarne les rôles secondaires de la surveillante du collège et de l’infirmière, tout en ponctuant les scènes de moments musicaux. D’abord pianiste, elle se révèle plus tard chanteuse et accordéoniste. De la musique classique en passant par Liszt, Schubert ou encore Bach à de la musique populaire, les sons et musiques immergent les spectateur·ices dans une atmosphère onirique. La musique s’évapore parfois, surprend d’autres fois aux sons d’un piano tantôt vif, tantôt lointain. Accompagnant les fantasmes et les rêveries de cet amour impossible, elle permet le lien des scènes entre elles, marquant une temporalité transmuable sur trois nuits.
Les dernières scènes emportent dans la folie et la solitude de Violette Leduc, dans un décor fumant, encore plus embrasé, qui n’en finit plus. Une fin qui semble comme un hommage sublime à l’écrivaine, se rapprochant d’une intimité bien réelle. Un extrait de la vie de l’écrivaine est mis en scène et l’histoire des adolescentes se révèle ainsi autobiographique. Thérèse remet sa perruque, devenant à nouveau Violette et Isabelle se coiffe, se prenant les traits de Simone. L’amour non réciproque qu’éprouve Violette Leduc envers Simone de Beauvoir poursuit l’écrivaine toute sa vie, lui donnant notamment les clefs pour écrire son œuvre. Marie Fortuit prend parti avec cette direction biographique de la pièce, en commençant et en terminant à l’âge adulte de Violette Leduc, au moment où elle écrit l’ouvrage. La pièce, arborant une dimension documentaire, s’alimente alors des correspondances intimes entre les deux amies.
Entre les mains de Marie Fortuit, l’amour de Violette Leduc est dé-censuré. Le texte reprend ici de sa force, de son courage et de sa nécessité d’être raconté. Bien plus qu’une simple relecture d’un roman censuré, la pièce est une ode à l’amour, à la liberté de désirer et à l’audace de Violette Leduc de raconter une histoire qui reste pertinente et nécessaire aujourd’hui.
Visuel : ©Marie Giovanni
Avec Louise Chevillotte, Marine Helmlinger, Raphaëlle Rousseau et Lucie Sansen
Compagnie Les Louves à Minuit
Mise en scène Marie Fortuit
Dramaturgie Rachel de Dardel
Conseils chorégraphiques Leïla Ka
Scénographie & costumes Marie La Rocca
Maquillage Cécile Kretschmar
Création lumières Thomas Cottereau
Création sonore Élisa Monteil
Stagiaire à la mise en scène Lylou Lanier
Peinture et conception rideau Myrtille Bordier
Atelier costumes Sophie Hampe
Direction technique Nicolas Ahssaine